37 - Cazerdnal

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Brumeux était un navire vaillant, bien plus que l'estomac de Kaïton face au roulis et au tangage. Le jeune homme avait vite trouvé son utilité auprès du cuisinier de l'équipage qui manquait d'un commis. Même si ce poste occupait une bonne partie de son temps, ces deux longues semaines de navigations avaient laissé le temps à Kaïton de se poser, de réfléchir à son voyage. 

Il s'était demandé pourquoi il était parti comme ça, visiter les confins de cette planète étrange. Pourquoi il n'était pas simplement retourné sur la planète qu'il connaissait, où il avait grandi.

 Mais il avait une dette envers sa grande tante disparue. Il s'en voulait terriblement. Il ne savait pas comment se racheter. Il en voulait à Neutriss aussi, Akira, sans qui aucun de ces événements tragiques ne seraient arrivés. Il n'avait plus qu'une chose à faire, comprendre l'étrange héritage que sa grande tante lui avait légué.

Alors qu'il se reposait dans son hamac, Kaïton avait fait appel à cette vision. Il avait compris à l'instant comment écouter cette mémoire avant de l'entendre. Il était frustré de n'y arriver que maintenant, à la fin de ce voyage qu'il aurait pu utiliser pour en apprendre davantage. Mais il avait déjà beaucoup appris.

– Kaïton, te connaissant, je te conseille de monter sur le pont, ça va secouer, vint le prévenir un matelot.

Le jeune homme avait hâte de débarquer, de partir à la rencontre de la mystique cité de Cazerdnal. Il monta l'échelle et parvint à l'air libre. Le ciel était chargé de nuages sombres et imposants. Au loin pour la première fois apparaissait la côte, obscure et déchiquetée. Il avait questionné l'équipage sur le mystérieux village. 

Il n'en avait pas appris grand-chose. Tout ce qu'il avait pu glaner était que le village s'étendait dans une vallée au fond d'un fjord. Surtout, l'entrée dans le fjord en question était des plus délicates, car parsemée de récifs et souvent le lieu d'une météorologie peu clémente. La suite des récits était des plus étranges et il avait cru comprendre que l'unique raison de la présence de Nilrem sur Brumeux était de le guider dans le fjord.

Le temps durcissait. Des creux se formaient sur la surface de l'eau, alternant avec des vagues de plus en plus hautes. Certains marins s'attachaient, d'autres parcouraient le pont en criant des ordres.

– Dégage de là, tu vois pas que tu bouches le passage ?

Kaïton s'empressa de se diriger vers la dunette, où il pensait moins gêner l'équipage. Surtout, de ce point surélevé il voyait mieux l'horizon et cela l'aidait à supporter le mal de mer. Il s'était habitué au pont instable sous ses pas, mais la houle puissante lui donnait du fil à retordre. Parvenu à destination il décida de s'encorder en suivant l'exemple des autres marins.

– Toi, gamin ! fit une femme en s'adressant à lui. Tu regardes à bâbord, si tu vois un caillou sous la vague tu cris, tu m'as compris ?

– À votre service ! répondit-il, en s'époumonant pour se faire entendre alors que le vent forçait.

Alors que le navire s'engageait dans le détroit il fut impressionné par la verticalité des falaises. Il ne levait pas longtemps la tête, concentré sur sa tache.

Il ne voyait plus rien. Il ne se sentait plus d'aucune utilité à présent. Le vent humide et froid fouettait son visage. Une brume épaisse avait envahie le fjord. Brumeux s'était enfoncé dedans à pleine allure poussé par des rafales sifflantes. La capitaine était à la barre et était entièrement concentrée sur les gestes et les cris de Nilrem. Kaïton ne reconnaissait plus celui qui l'avait guidé et avec qui il avait pu échanger quelque peu durant le voyage. Le guide était comme transporté dans un état second, effectuant une danse que Kaïton demeurait incapable de déchiffrer. Pourtant, c'était grâce à lui que la capitaine parvenait à mener le navire en évitant les récifs. On disait qu'il était capable non seulement de voir au travers de la brume mais de lire en elle, d'écouter le vent, son fracas sur les falaises, le rythme des vagues tout autour. Kaïton était tout simplement perdu, dans un nuage blanc dont l'humidité s'infiltrait jusqu'à ses os. Il ne voyait plus que la dunette. Le reste du Brumeux avait disparu.

Le sang des Numuris - I L'ArmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant