19 - Atterrissage à Kodhéli

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Alors qu'ils avaient semé sans encombre leurs poursuivants dans la grande ceinture de Kiriel, Akira et Neutriss profitaient du pilote automatique pour se reposer avant d'aborder la cité marine de Kodhéli. C'était Dhéo qui leur avait conseillé cette escale en mentionnant la sulfureuse cité sous le nom de code d'Irshum. La cité étrange étendait ses tentacules désordonnés autant à la surface que dans les profondeurs de la planète océane Sufin. La cité, où régnaient les magnats de l'union libérale, était avant tout vouée aux activités commerciales.

Tandis que l'humble vaisseau spatial s'engageait sur un rail aéromagnétique, Neutriss observait l'immense étendue azur. Elle l'admirait, zébrée de larges bandes arborant les plus infimes nuances de bleus au gré des vents et courants marins. La ville, vue du ciel, étincelait de ses façades de verre qui recouvraient des tours entières. C'était un spectacle magnifique qui cachait une toute autre réalité. La cité n'était soumise qu'au seul pouvoir de l'argent et l'ordre qui y régnait était plus chaotique qu'autre chose.

Alors qu'ils s'approchaient de la plateforme d'atterrissage Akira prévint Neutriss qu'il leur faudrait rester plus prudent que nulle part ailleurs. Les milices locales dont l'autorité faisait office de loi avait tendance à s'en prendre facilement aux adolescents et jeunes adultes insouciants et sans défense. La rumeur courait que Kodhéli était au centre d'un grand marché de la prostitution. L'Union Libérale considérait ce marché comme un autre et se souciait peu du sort des malheureux et malheureuses.

Une voix impersonnelle sortant d'un de ces haut-parleurs invisibles pria les passagers de bien vouloir descendre. Un androïde au sourire figé vint leur remettre une carte électronique tandis que le vaisseau s'enfonçait dans le gueule noir et béante d'un tunnel menant aux immenses garages automatiques de la cité marine.

– Cet accueil m'étonnera toujours ! remarqua Akira en pénétrant dans une cabine d'ascenceur.

– Ça leur coûterait trop cher de payer des gens pour ça, renchérit ironiquement Neutriss.

– Je pense qu'il vaut mieux éviter ce genre de remarque en ces lieux. Il ne m'étonnerait pas qu'ils utilisent des caméras de surveillance pour répondre à nos moindres besoins et par là même enregistrer nos moindres gestes.

Alors que les portes de la cabine s'ouvrait une hôtesse, automatique bien-sûr, leur apporta leurs bagages. « Si vous désirez quelque chose claquez des doigts et énoncez votre envie, elle sera satisfaite dans les moindres délais » énonça le robot, comme pour confirmer les craintes des deux étrangers. Akira allait s'enquérir de renseignements auprès de l'hôtesse quand cette dernière pivota, leur tourna le dos et repartit vers d'autres occupations. Akira n'eut pas le temps de pester qu'un autre robot à roulette arriva d'on ne sait où en servant un « vous désirez ? » interrogatif parfaitement insupportable. Reprenant son calme Akira lui demanda ou l'on pouvait trouver le fameux Gurdam De Visco.

Ils étaient maintenant confortablement allongés dans des capsules voyageant dans d'immenses tuyaux qui parcouraient la cité. On aurait dit que dans la cité, tout était fait pour empêcher au maximum tout contact humain. Il y avait bien quelques allées, des couloirs qui menaient des stations de cocons voyageurs jusqu'aux appartement mais chacun s'enfermait dans sa bulle sensorielle. Ce qui était génial à Kodhéli, c'était que l'on pouvait profiter d'un sensofilm tout au long de sa journée, d'ailleurs, il n'y avait plus vraiment de journées. Les grandes compagnies de l'union libérales avaient inventé de nombreux bijoux de technologie pour asservir en toute liberté sa population. Aujourd'hui, il suffisait de coiffer son sensocasque qui vous faisait ressentir jusqu'aux bout de vos orteils toutes les sensations imaginables, tout en simulant le goût et les parfums agréables pour vous immerger dans les mondes les plus incroyables. Il y avait les lentilles numériques aussi, brillante invention qui malgré son ancienneté de quelques siècles n'avait pas encore trouvé de remplaçante. Et plus récemment la firme Automagique avait mis au point un système de guidage cérébral. C'était une petite puce que l'on s'implantait au niveau de la tempe et qui vous permettait de vous déplacer, en marchant par exemple, sans y penser suivant un itinéraire choisi à l'avance et ainsi de profiter pleinement du sensofilm.

Après une longue errance passée dans les tuyaux de Kodhéli à profiter d'un sensofilm abrutissant, Akira et Neutriss parvinrent enfin à la station de cocons voyageurs la plus proche du domicile de Gurdam De Visco.

– Tu étais déjà venu ici ? demanda Neutriss à Akira

– Oui, mais c'était il y a longtemps, les choses ont bien changées, mais globalement l'ambiance reste la même.

– Ils ont toujours été comme ça ? s'exlama Neutriss, estomaquée. Je n'arrive pas à croire qu'une cité dont les habitants paraissent aussi misanthropes puisse survivre et même se développer !

– Il faut croire, puisqu'ils y parviennent, ajouta ironiquement Akira tout en se présentant devant la porte de M. De Visco.

Ce n'était pas vraiment une porte mais plutôt un mur, concave et lisse, qui bordait le couloir. La seule marque visible était un numéro, lumineux, d'un rouge terne, celui que leur avait indiqué Dhéo. Il n'y avait pas de sonnette, frapper aurait sans doute été inutile. Alors qu'ils s'apprêtaient à appeler au secours un automate, la porte, le mur plutôt, s'ouvrit sur un homme de haute stature, les pommettes relevées par un sourire impersonnel.

Monsieur De Visco les accueilla jovialement, les invitant à prendre place dans le salon :

– Bienvenu à vous, chers visiteurs, Dhéo vient de me prévenir de votre arrivée, elle m'a demandé de vous loger discrètement pour quelques nuits. Qu'est-ce qui vous amène donc dans cette agréables contrée ?

– Merci de votre accueil, répondit Akira, j'ai entendu beaucoup de bonne chose sur vous, Monsieur De Visco, on vous dit influent dans l'industrie des réalités virtuelles.

– C'est beaucoup dire, considérons que ma position me permet essentiellement une relative sécurité dans une cité de l'union libérale qui vous le savez n'est pas dirigée par d'autres pouvoirs que celui de l'argent.

– C'est une réalité qu'il faut effectivement prendre en compte

– Et donc, vous me disiez que vous étiez juste en escale à Kodhéli, pourquoi tant de discrétion ?

– C'est cela, exactement. Ce n'est pas tant de la discrétion que de la pudeur, nous ne supportons pas que chaque automate de Kodhéli nous surveille en permanence sous prétexte de nous proposer le séjour le plus à même de nous émerveiller.

Gurdam De Visco, s'esclaffa avant de reprendre :

– Beaucoup de nos visiteurs sont surpris par ce qu'ils perçoivent comme une intrusion dans leur vie privée de la part de nos automates. Mais ne vous inquiétez pas, je vais vous dégotez une petite chambre si vous ne restez que quelques nuits.

Puis, sans laisser le temps à ses visiteurs de prononcer le moindre mot il reprit :

– Dhéo m'a dit que vous étiez des amis de longue date, vous faîtes quoi exactement ? dit-il, à l'attention d'Akira Tanenseï.

– J'enseigne l'aïkijutsu, répondit le maître. C'est lors d'une formation que j'ai rencontré votre amie.

Devant le manque de volubilité du maître Tanenseï, Visco proposa de montrer à ses invités la chambre qu'il mettait à leur disposition pour les prochains jours.


Le sang des Numuris - I L'ArmeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant