Le sang des Numuris - I L'Arme

35 - Focsor

Kaïton longeait le quai d'un pas nonchalant. L'air marin emplissait ses poumons, lui éclaircissait les idées. Il était courbaturé par le long voyage en voiture à bagalis, puis en péniche. Il avait pu troquer sa place sur l'embarcation contre de l'aide pour embarquer et débarquer les marchandises dans les différents ports de l'Evin entre Ennoyab et Focsor. Il était impressionné par cette étendue d'eau infinie, jusqu'à l'horizon. Il était resté plusieurs minutes, stupéfait, à admirer la mer. Il avait vu des images certes, mais ici, il vivait cette rencontre de l'océan. Il entendait le doux bruit des vagues qui faisaient rouler les galets au pied de la digue à chaque aller-retour. Il respirait cet air iodé, ce parfum si singulier. Il était subjugué.

Il avait bien réfléchi pendant ces quelques jours, il fallait qu'il trouve ce guide Nilrem. Il ne voyait pas d'autres moyens de rejoindre le mystérieux village de Cazerdnal. Et puis, il y avait ces étranges rêves qui revenaient de plus en plus souvent. Li qui lui apparaissait. Une image, des réminiscences. Elle lui parlait. Il avait envie de lui répondre mais il n'osait pas. Elle était parti, il devait s'y faire. Mais il voulait comprendre, peut-être qu'elle pourrait l'aider. Et surtout, il espérait trouver des réponses dans ce petit village portuaire.

Il se dirigeait vers une taverne bien animée en ce début de soirée. L'établissement n'avait pas grand-chose à voir avec les tavernes bien propres et numérisées de la capitale. Le brouhaha des clients créait une atmosphère festive. Alors que Kaïton entrait, les discussions autour de lui se précisait, il entendait des mots, dont certains qu'il ne comprenait pas. Ils avaient entendu dire que lorsqu'on s'éloignait de la capitale, des patois apparaissaient, propres à chaque régions. Ici il y avait un comptoir. Le jeune homme s'en approcha et commanda la boisson la plus mise en avant, ce que tout le monde semblait consommer dans ce bar. On lui apporta rapidement sa boisson. Le serveuse, à son allure sans doute, lui demanda :

– Tu viens d'où comme ça, jeune homme ?

Son accent désarçonna Kaïton, il ne s'était pas attendu à temps de dépaysement en voyageant simplement sur une petite planète. Il était tellement habitué à la société globalisée et homogène de l'Empire, toujours en mouvement.

– Je descendais l'Evin, j'ai débarqué tout à l'heure. Est-ce que vous sauriez où trouver un certain Nilrem ?

La serveuse fit une moue réprobatrice, elle avait l'air d'attendre la suite pour livrer, ou pas, ce qu'elle savait de la chose.

– Je souhaiterais aller à Cazerdnal, continua Kaïton. On m'a dit que Nilrem pourrait m'y conduire, vous savez où je peux le trouver ?

– Je vous avoue que je ne sais pas trop, son nom me dit quelque chose, mais rien de précis. Vous devriez aller toquer au bureau des explorations maritimes, ils sauront sans doute vous indiquer un moyen de rejoindre Cazerdnal. Je vous souhaite bien du courage !

Elle avait récupéré la monnaie de Kaïton et tourné les talons, ce petit sourire espiègle sur les lèvres lorsqu'elle avait prononcé sa dernière phrase. Il se demandait bien pourquoi. C'était comme si elle se moquait de lui, de quelque chose qu'il n'avait pas encore compris.

Il savoura sa boisson, des plantes locales fermentées, au goût parfumé quoi qu'un peu acidulé. Il rejoignit ensuite une auberge bien décidé à dénicher Nilrem le lendemain.

Il savait en s'endormant qu'il risquait de rencontrer les mémoires de sa grande tante disparue. C'est-ce qu'il suspectait du moins. Dans les dernière vision qu'il avait eu de la vieille femme, il avait osé lui parlé. Il n'était pas tout à fait en pleine conscience, il avait peur de faire cesser le rêve. Il lui avait demandé où elle était. La femme de son rêve lui avait répondu qu'elle n'était que ses souvenirs, qu'elle n'avait aucune idée d'où était son corps, celui de Li. Il avait été perturbé par cette réponse et c'était réveillé. Il avait hâte de la retrouver cette nuit. Du moins, il l'espérait.