Moïra - Tome 1 : La Malédiction des Dunn

Chapitre 7 - Partie 2

          À cet instant, le silence plane dans la cuisine. Faith et moi nous regardons. Elle a l'air grave et triste. Quant à moi, je suis perdue comme je le suis depuis mon arrivée ici. Je ne comprends plus rien. Le pacte que Lewis Dunn a fait avec le Diable promettait des sacrifices et non une compagne. Ce n'était pas prévu. Cela n'entre pas dans les termes du contrat.

— Beth. Un sacrifice peut être fait sous différentes formes. Le fait que le type de sacrifice n'ait pas été formulé laisse une grande marge de manœuvre pour le Prince des Ténèbres.

— Depuis que j'ai remis les pieds dans cette ville, ma vie ressemble à une série allant de la fantasy au thriller en passant par le roman policier. Tout ça est impossible. Nous sommes dans la vie réelle et le diable n'existe pas, me voilé-je la face.

— Beth, si Dieu existe, le diable également.

— Ça fait bien longtemps que je ne crois plus en lui Faith. Par contre, je veux que tu me parles des meurtres de mes parents.

          Je relance le sujet car tante Faith ne m'a donné aucune réponse concernant mes parents. Elle a tout fait pour changer de conversation à chaque fois que j'évoquais leurs meurtres. Faith n'aime peut-être pas être mise en face à face avec ce qu'elle renie, mais il est temps qu'elle me raconte tout ce qu'elle sait.

          À l'évocation de mes géniteurs, le visage de ma tante se ferme. "Je ne veux pas en parler" : voilà tout ce qu'elle réussit à me répondre tandis qu'elle se dirige vers la porte de la cuisine. Cette fois-ci, je ne compte pas la laisser s'esquiver. Je veux des réponses tout de suite et maintenant. Je l'attrape par le bras et la retourne vers moi.

— Eh bien moi, je veux qu'on en parle ! Et tu me dois bien ça ! L'affronté-je du regard.

          Elle me fixe. Je vois bien qu'elle a honte mais je n'ai pas la force de prendre en considération ses sentiments.

— Tes parents et moi..., hésite-t-elle, la main posée sur son cœur. On appréhendait de devoir te sacrifier lorsque ta mère était enceinte. Tu n'avais beau être qu'un fœtus à cette époque, on t'aimait déjà tous, se rappelle-t-elle, le sourire au lèvres. Tes parents avaient des difficultés à concevoir. Ils ont attendu bien sept ans avant de réussir. Les médecins leur ont dit que ta mère était stérile au bout de la première année, mais ils n'ont jamais cessé d'y croire. Ils espéraient un miracle et c'est ce qui s'est passé, sourit-elle, une main légèrement pressée sur mon bras.

— Pourquoi est-ce qu'ils espéraient avoir un enfant si c'était pour le sacrifier ? demandé-je, non soucieuse de la nostalgie de ma tante.

— La famille Dunn ne parlait jamais des enfants sacrifiés. Le sujet du pacte n'était, lui non plus, jamais évoqué.

— Alors comment avez-vous été mis au courant ? l'interrogé-je.

— Grâce, enfin plutôt à cause d'un rêve de ta mère. Lorsqu'elle était à son quatrième mois, le Prince des Ténèbres s'est présenté à elle, comme il l'a fait avec toi. Il lui a montré ses souvenirs du pacte entre Lewis Dunn et lui-même ainsi que ceux des sacrifices effectués depuis.

          Je me rassois lourdement sur un tabouret de la cuisine, la main sur mon collier. Je pense à ma mère, à ce qu'elle a dû ressentir après avoir eu ce cauchemar. Après tout ce qu'elle a enduré pour m'avoir, elle devait me sacrifier au Diable en personne. Cependant, elle ne l'a pas fait. Comment est-ce possible ? Pourquoi le Diable m'aurait-il laissé grandir avec mes parents ?

— Pourquoi mon père et ma mère ne m'ont-ils pas remise au Diable à ma naissance ?

          Je sens que ma tante ne souhaite pas me répondre. Son visage s'est fermé et sa bouche forme une fine ligne. Elle s'interdit de satisfaire mon avide volonté de réponses. Parfois, le silence n'est pas d'or mais plutôt de rouille.

— Il est temps de faire table rase des secrets tante Faith ! m'énervé-je, agacée de toutes ses cachoteries.

— Ta mère et ton père ont, eux aussi, passé un pacte avec le Prince des Ténèbres.

— Quel genre de pacte ?

— Beth, crois-moi, tu ne veux pas savoir.

— Tante Faith ! Je te le demande, dis-moi la vérité ! La sommé-je.

— Pour que tu grandisses auprès d'eux, le jour de tes 16 ans, tes parents devaient te remettre au Prince des Ténèbres pour que tu deviennes sa compagne. Lâche-t-elle d'une traite.

          À ses derniers mots, mon monde s'écroule. Toute ma vie repose sur des mensonges, des secrets venant des personnes qui étaient les plus chères à mon cœur.

— Et dire que tu allais me faire croire que le Diable était celui qui a arrangé le pacte avec Lewis Dunn à sa manière pour que je devienne sa compagne. En réalité, ce sont mes parents qui m'ont vendue au Diable, réalisé-je, amèrement.

— Je ne voulais pas que tu voies tes parents différemment. L'idée ne venait pas d'eux, ce qui me laisse supposer que le Diable avait tout prévu.

          J'entends qu'elle souhaitait me protéger mais la trahison est plus dure à accepter que je n'aurais cru l'imaginer. Je ne peux plus lui faire confiance. De ce secret, elle est devenue une menteuse pathologique mais il y a une dernière question que je dois lui poser.

— Michael Davenport. Pourquoi as-tu déjeuner avec lui ? Tu hais tout ce qu'il représente. Alors pourquoi ? Y'a-t-il un rapport avec cette histoire ?

          Silence radio de sa part... Visiblement, elle a vraiment besoin de ses cachotteries pour survivre.

— Toujours des secrets et des mensonges, pas vrai tante Faith ? Tu sais, Madame Greenwich m'a dit que nous vivons dans un monde où les mensonges semblent être le seul moyen de nous en sortir indemnes. Je suis sûre que tu y croies. Je suis sûre que tu voulais tout faire pour que je ne sois pas blessée. Je vais te dire une chose tante Faith, les secrets et les mensonges finissent toujours par être révélés, et quand ils le sont, ils font plus de mal que de bien.

— Beth...

— Peu importe ce qu'il se passe ici, je vais rentrer à Baltimore. Aujourd'hui. Kingston Springs n'est plus chez moi et, ce, depuis bien longtemps. Je me fiche du pacte. Je me fiche que tout cela puisse être vrai. Je ne veux rien avoir à faire là-dedans. Je retourne à ma vie, celle exemptée de mensonges.