Le temps est venu. Tout se bouscule dans ma tête alors que j'avance vers l'avenir. La grotte, que m'a montrée Sarah, se dévoile un peu plus sous mes yeux. Mes pas se veulent lents. Je ne peux plus reculer mais ce n'est pas pour autant que je souhaite faire preuve d'empressement. La situation ne me plaît pas.
Très peu de personnes sont présentes. L'inspecteur Stroke, ou plutôt Gabriel, m'a escortée jusqu'ici. Il s'est ensuit positionné aux côtés d'Hadès, qui se tient évidemment éloigné du Styx. Il n'a pas l'intention de me faciliter la tâche. Je ne reconnais qu'une seule personne parmi les quelques autres présentes, le garde qui était présent à mon mariage, un de mes ancêtres, si j'en crois Hadès.
Je suppose que les autres sont également des Dunn. D'un regard extérieur, la situation pourrait être amusante. Les membres de plusieurs générations de ma famille sont présents à ma cérémonie d'asservissement, contre ma volonté, et qui plus est, ils l'encouragent.
Hadès détaille tous mes mouvements et m'invite à le rejoindre. Je le fusille du regard et m'arrête près de lui sans accepter la main qu'il me tend. Il la baisse avec un soupir. Je ne prononce pas un mot mais mon visage exprime mon interrogation quant à la marche à suivre. Hadès ne prend pas la parole et laisse Gabriel expliquer le déroulement de la cérémonie.
— Élisabeth, vous êtes parmi nous, ce jour, dans ce sanctuaire de la vie éternelle, de la fontaine de jouvence, afin d'entrer dans le cercle, si convoité, de la renaissance. C'est un immense privilège auquel peu ont accès. Vous êtes la femme de notre Maître, de notre dieu, Hadès. La grandeur de notre Roi ne peut d'avoir d'égale que la grandeur de notre Reine, ainsi que la grandeur des enfants qu'elle portera, que vous porterez. Le risque de perdre notre très chère Reine n'est pas de ceux que nous pouvons prendre, ni même imaginer. Aujourd'hui, nous sommes donc réunis afin d'y mettre un terme. L'eau du Styx est pure. Elle permettra à votre corps d'éliminer toute trace de faiblesse corporelle, de réorganiser vos cellules en les transformant, jusqu'à ce que plus rien ne puisse vous atteindre, ni les armes, ni les maladies, ni la vieillesse. Vous allez renaître, tel un phœnix.
Un phœnix... Ce qui m'a apporté tant de réconfort et de tendresse depuis que ma mère m'a offert son collier me rend à présent amère. Était-ce un signe du destin ? Cette comparaison psychique était-elle annonciatrice de ma condition physique future ? Pourquoi ne puis-je pas me relever que mentalement ? Ne pas avoir l'opportunité de mourir, c'est la pire des fatalités.
Le silence plane autour de nous. Seule la voix de Gabriel remplissait mes oreilles. Je suis effrayée. Gabriel m'amène près du Styx pendant qu'Hadès reste en arrière. Mon plan de l'emporter avec moi est fichu. Je ne sais pas quoi faire. Je n'avais pas réellement de plan. J'espérais avoir un peu de chance de mon côté mais elle ne semble pas me sourire.
Souviens-toi de ce que t'a dit Héra, Beth. "Cherche en toi Beth. Trouve ton pouvoir." Puis, les mots de Sarah me reviennent également. "Là, où sa première femme est morte, va renaître sa nouvelle épouse." Je ne sais pas si c'est un de mes pouvoirs mais il faut que j'essaie.
Hadès a la capacité de se transformer en une autre personne, tout comme Zeus et je suis quasiment sûre que Héra en a la possibilité. Je me fais peut-être des films et peut-être que ce sera un énorme flop, que je n'y arriverai pas. Après tout, je ne l'ai jamais fait et je n'ai peut-être pas hérité de ce don mais je me dois d'essayer. Ce sera ma seule chance d'anéantir Hadès, une bonne fois pour toutes.
Gabriel me tient la main pour m'aider à descendre les quelques marches existantes. Plus qu'une et mes pieds toucheront l'eau sacrée. À son contact, je me sens bien. Elle est douce, ni trop fraîche, ni trop chaude. Elle est agréable.
Je reste là, pendant quelques minutes, il me semble. Je profite de cette sensation. La voix de Gabriel me rappelle à l'ordre et je réalise que je me dirige vers une eau qui me rendra immortelle. Je fais un pas en arrière sans manquer d'en rater la marche. Gabriel me rattrape de justesse.
— N'ayez pas peur. Faîtes confiance à l'eau, elle se chargera de tout.
— Je ne veux pas devenir immortelle.
— C'est le plus beau cadeau qu'on puisse vous faire. Croyez-moi. Je donnerais tout pour me sentir vivant.
— Ce n'est pas parce qu'on devient immortel qu'on se sent vivant. On se sent vivant à cause des choses qu'on fait, des opportunités qu'on saisit, des personnes avec qui on partage notre vie. Quelqu'un qui est en vie ne se sent pas forcément vivant, le corrigé-je.
— Mais quelqu'un qui est mort ne ressent rien, aucun plaisir, aucune déception, aucun sentiment et aucune culpabilité.
Il avait prononcé cette dernière phrase dans un chuchotement, presque imperceptible. J'étais en colère contre lui. Je le détestais. Il avait tué mon père et Ben mais, à cet instant, je ne ressentais que de la tristesse et de la pitié. Tout comme Sarah, il était mort jeune même si, contrairement à elle, il avait eu une enfance difficile, remplie de violences et de manque d'amour. Ce n'était pas une vie pour un enfant. Il aurait certainement mal tourné ou bien, avec un peu de chance, il aurait réussi à se sortir de cette vie misérable et tracer son chemin, sans se retourner.
J'acquiesce, malgré moi, à ses paroles. Je me concentre. Je ne veux pas être immortelle. Je comprends le point de vue de Gabriel mais je n'en démords pas. Je veux vivre ma vie, réussir ma carrière, avoir des enfants, vieillir auprès de Jordan et mourir avec lui. C'est tout ce que je demande. Je veux une vie normale. Avec cet objectif en tête, je tente de me transformer en Perséphone. 'Tenter' est bien le mot. Mes mains sont toujours les miennes, petites et fines.
Gabriel m'invite à avancer sur les marches. J'en descends une pour ne pas éveiller de soupçons. Je m'arrête, ferme les yeux et tente une nouvelle fois. Je regarde mes mains, toujours les miennes. Je referme les yeux, m'imagine me transformant en Perséphone lorsque je sens une main dans mon dos. Elle me pousse et je perds l'équilibre. J'ouvre les yeux, juste à temps pour voir l'eau arriver à moi. Je n'ai rien à quoi me rattraper et je plonge dans cette eau magique.
Quand mes pieds ont touché l'eau, j'ai éprouvé une sensation agréable mais ce n'était rien par rapport à ce que je ressens à présent. J'ai l'impression de flotter, d'être sur un nuage, de faire partie d'un nuage. Ce que j'ai ressenti dans mon rêve, lors de ma discussion avec Héra, est décuplé. Je suis au Paradis, il n'y a pas d'autres mots. Je pourrais rester toute ma vie dans cette eau si accueillante. Rien ne semble pouvoir troubler ma tranquillité. Je souris. Tout est lumineux. Un visage se forme et vient troubler mon parfait paysage. Héra.
— Ce n'est pas réel Beth. Tu dois remonter à la surface. Tu dois te battre. Tu n'as pas terminé.
— Je suis en paix ici. Je ne veux pas y retourner, susurré-je.
— Beth, pense à ta tante, à Ashley et surtout à Jordan. Il n'a pas fait tout ce chemin pour te perdre.
Un autre visage apparaît à côté de celui de Héra. Elle ne semble pas le voir mais moi oui. Je sais exactement de qui il s'agit. Je ne m'attendais pas à ça. Comment est-ce possible ?
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Moïra - Tome 1 : La Malédiction des Dunn
FantasíaKingston Springs, petite ville tranquille du Tennessee, est mon pire cauchemar. Malheureusement pour moi, elle est ma prochaine destination. Je pensais n'y faire qu'un aller-retour mais me voilà embarquée dans l'histoire rocambolesque de la ville. E...