Chapitre 2 - Partie 1

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          Tandis que je marche dans les rues de Kingston Springs, mon regard dévie des anciens bâtiments aux nouvelles constructions. De nombreux logements ont émergé mais la ville garde le charme naturel et représentatif de son histoire.

          Ses rares maisons, d'un aspect propre à chacune, dont les couleurs des façades diffèrent, allant du rouge au gris, du crépis partant en lambeaux aux vitres cassées, me font froid dans le dos. Elles font partie de celles qui ont été peu rénovées au cours du siècle dernier et contrastent complètement avec celles qui se détachent de Main Street.

          Je me rappelle des hivers où j'ai traversé cette allée principale, dont l'apparence était digne d'une ville hantée. Seuls l'hôtel de ville et l'église dénotaient par leur majestueuse façade. Heureusement que les couleurs de l'été redonnent un peu de vie à ces logements désuets.

          Kingston Springs est bien plus dynamique lorsque le soleil est de retour. Malgré son air délabré, les familles n'hésitent pas à sortir faire une balade avec leurs enfants. Je vois certains parents, l'air affolé, courir après leur progéniture, qui ne se soucie que de s'amuser et de profiter de la liberté de l'extérieur. Leurs rires se mêlent à la légère brise qui rafraîchit mon visage. Leur volonté de rendre fous leurs géniteurs m'octroie un sourire amusé.

          Qu'est-ce que je donnerais pour un peu de leur innocence...

          Je m'arrache à ma vision et alors que je passe devant la bibliothèque municipale, mon cœur se contracte plus intensément qu'à l'accoutumée. Instinctivement, ma main trouve, à nouveau, prise sur mon collier.

           À la mort de ma mère, elle est devenue mon refuge, mon échappatoire. Elle me permettait de plonger dans un monde de fiction ou bien de réalité, selon mon humeur. Alors que je subissais les moments les plus douloureux de ma vie, Madame Greenwich, l'intendante, semblait savoir vers quelles lectures mon cœur allait balancer. Je me disais qu'elle avait un don pour deviner mes envies du moment.

          Certains la trouvaient bizarre. Elle pouvait vous regarder de manière si intense que ses yeux bleus, presque transparents, semblaient analyser votre âme et vos pensées. Cependant, son égard pour moi m'avait permis de mieux la connaître et de passer outre cette appréhension.

          Je me souviens de ma rencontre avec elle. J'errais dans Kingston Springs, passant des heures à marcher, avec l'espoir que ma fatigue physique réussirait à éloigner toutes les pensées qui me tenaient éveillée la nuit. Sans succès ...

           Alors que je déambulais près de la bibliothèque, Madame Greenwich m'avait apostrophée, me sortant de ma bulle. J'avais, en premier lieu, regardé autour de moi, vérifiant qu'il y avait quelqu'un pour venir me sauver si elle me voulait du mal. J'avais entendu des bribes d'une discussion entre Faith et mon père. Madame Greenwich semblait être une personne dont il fallait éviter le plus possible le contact.

          Ayant senti mon appréhension, elle m'avait souri gentiment et avait tenté de me rassurer. Voyant toujours ma posture hésitante, elle m'avait juste tendu un livre tout en exprimant son souhait qu'il puisse m'aider dans ma tourmente. Puis, elle s'était envolée alors que mes yeux parcouraient le titre de l'ouvrage.

           "It's grief : The Dance of Self-Discovery Through Trauma and Loss" d'Edy Nathan. Et il m'a aidée, en quelques sortes ... il m'a appris que je mettrai du temps à m'en remettre mais que je m'en sortirai. Toutes les émotions que je ressentais à ce moment-là, la colère, la tristesse, la culpabilité, cela ne partirait pas vraiment mais se transformerait en force. La force d'avancer, d'utiliser mon malheur pour apprendre sur moi-même et sur ce que je serai capable de faire. Cette partie perdue de moi me mènerait sur une autre qui me ferait sentir entière de nouveau, sans avoir l'impression de trahir ma mère.

Moïra - Tome 1 : La Malédiction des DunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant