Alors que nous attendons à l'aéroport, Jordan ne prononce pas un mot. Il est dans ses pensées, sans doute toutes dirigées vers Beth. Il l'aime, plus que tout au monde. Je me souviens du jour où ils se sont rencontrés. Beth était revenue bien après moi de la soirée. Je l'attendais sur le canapé, me demandant ce qu'elle pouvait bien faire et surtout si rien ne lui était arrivé. Elle ne répondait plus à mes messages. J'avais découvert par la suite qu'elle avait été juste trop occupée pour regarder son téléphone.
A son retour, elle rayonnait. Je ne l'avais jamais vue porter un sourire si éclatant. Elle avait eu des petits-amis à la fac mais jamais aucun n'avait réellement réussi à la faire tomber amoureuse.
Jordan était différent pour elle, sans qu'elle ne puisse l'expliquer. Elle pouvait juste le sentir. Beth avait passé la nuit à me raconter tout ce qu'il s'était passé. Elle en était même à me remercier de lui avoir posé un lapin. Je pense que c'est la seule conséquence que l'on peut accepter dans ces cas-là.
Beth m'avait fait rencontrer Jordan une semaine plus tard, tout en m'annonçant qu'il serait notre sénior. Est-ce que j'étais choquée et mal à l'aise ? Oui. Est-ce que je lui ai dit que ce n'était pas une bonne idée ? Qu'ils allaient être la risée de tout l'hôpital et que sa réputation allait être faite avant même qu'elle n'ait terminé son premier jour ? Oui. Est-ce que je l'en ai empêché ? Non.
Si après une seule semaine, il la rendait plus heureuse que n'importe quel homme qu'elle avait rencontré, je ne pouvais pas m'y opposer. Qui plus est, elle m'avait donné tort. Malgré la vitesse à laquelle cette nouvelle avait été propagée et sa connaissance par les séniors, Beth a su démontrer que cela ne changeait en rien la qualité de son travail.
— Tu es inquiet ?
Il me regarde et ne répond pas le temps d'un instant.
— Oui mais je veux surtout que ça marche, même si ça paraît dingue. Qui l'aurait cru ? Les dieux et déesses de l'Olympe... Je ne crois déjà pas en Dieu. Comment puis-je croire en ça ?
— Mais tu y crois comme moi j'y crois. C'est bien réel. Beth a été kidnappée, pas littéralement mais c'est tout comme. Tu sais, je crois en Dieu. C'est difficile pour moi de me dire que tout ce qu'on m'a appris n'est pas tel quel, que tout a été transformé.
— Ash, je n'y crois pas. Du moins, je ne croirai réellement à cette histoire que lorsque je verrai les enfers de mes propres yeux.
— Et malgré tout, tu es là, à déplacer des montagnes, à suivre des pistes complètement délirantes et auxquelles tu ne crois pas pour la retrouver, constaté-je.
— J'admets qu'il y a plein de choses qui nous dépassent. C'est pour ça que j'ai fait médecine. Plus j'apprenais et moins je me sentais petit. Je pense que c'est pour ça que je ne crois pas en Dieu. Tu ne peux pas avoir de certitudes, de preuves qu'il existe. En médecine, il est question de probabilité par rapport aux différents facteurs. Tu sais qu'il y a tant de chances que ça se passe de telle ou telle manière. Dire que Dieu a quelque chose à avoir avec le bon rétablissement d'un patient, c'est délirant. Tant de personnes ont travaillé sur des moyens pour améliorer la médecine et on attribue les lauriers à quelqu'un qui n'a jamais pointé le bout de son nez.
— Et pourtant tu vas jusqu'à Chypre par un acte de foi. Ce n'est pas délirant d'avoir foi en quelque chose.
— Oui mais la personne en laquelle j'ai foi c'est Beth. Elle est bien réelle et elle est quelque part. Elle croyait à cette histoire et s'est sacrifiée. Si elle y croit, je suis prêt à la suivre dans cette folie. Au fait, qu'est-ce qu'on est censés offrir à la déesse ?
— D'après le livre que Madame Greenwich nous a donné, on doit lui offrir de l'encens et sacrifier des colombes... Mais c'est horrible !
— Oui mais je ne pense pas que ce soit le pire. C'est la déesse de l'amour après tout. Je pense que le sacrifice est bien pire pour Zeus ou même cet enfoiré d'Hadès !
Je ne dis rien. Il n'y a rien à dire. Il a totalement raison. Si Hadès ne se croyait pas tout permis, rien de tout cela ne serait arrivé. Il est en colère et je peux le comprendre mieux que quiconque.
— Je ne comprends pas pourquoi il tient autant à avoir Beth. Elle est spéciale. Elle l'est pour nous mais qu'est-ce qu'elle peut apporter à un dieu ?
Je ne réponds pas à sa question. Je ne sais pas quoi répondre. Il la veut pour compagne, certes, mais cela n'a pas de sens. Elle n'a aucun lien avec les dieux et déesses de l'Antiquité. Que pourrait-elle lui apporter ?
Quatorze heures après, nous arrivons enfin à Larnaka. L'air est chaud, même étouffant, ce qui n'est pas étonnant en été, surtout dans cette partie de la Terre. A la sortie de l'avion, nous nous dirigeons vers le guichet. Nous demandons le moyen le plus rapide pour nous rendre à Paphos. Tout en nous informant que la ville est à l'autre bout de l'île, il nous conseille de louer une voiture avec GPS.
Sur le chemin du Temple d'Aphrodite, nous passons par un marchand de colombes, où un écriteau en anglais signale que la vente des colombes est réservée aux sacrifices pour Aphrodite.
— Ce n'est pas sérieux ? Ils vendent des colombes pour qu'elles soient sacrifiées ? Ils n'ont aucune morale ? Et, ce n'est pas censé être interdit par la loi ? m'offusqué-je.
— Si mais ça a l'air d'être un marché clandestin et s'ils croient à l'ancienne religion, ils s'en fichent. Tout comme nous on dirait.
— Mais nous on n'a pas le choix. Eux, c'est leur commerce. D'ailleurs, il est hors de question que je tue ces colombes.
— Je le ferai.
Son ton froid me dit que le sort des colombes est le cadet de ses soucis. Tant qu'il n'aura pas retrouvé Beth, il fera tout ce qui est en son pouvoir pour y arriver.
Nous arrivons à Paphos, au temple d'Aphrodite. Seules des ruines y sont présentes. Au centre de l'ancien temple se trouve un piédestal. Ils devaient certainement soutenir une statue de la déesse.
Jordan sort l'encens de son sac et le dépose sur le piédestal. Il prend l'une des deux colombes à sacrifier et lui prend la vie d'un coup de couteau. Je vois qu'il lutte pour ne pas craquer. Il dépose la colombe et s'approprie la deuxième. Il la regarde une dernière fois dans les yeux et lui inflige le même sort qu'à la précédente, tout en détournant les yeux.
Je comprends mieux, à présent, l'explication de Madame Greenwich sur l'équilibre du bien et du mal. Nous avons tous une partie sombre en notre sein. Même si l'objectif de Jordan est pur, il a dû laisser sa noirceur l'aider dans son entreprise.
Après avoir terminé le sacrifice, il s'agenouille devant le piédestal. Je pense qu'il est en train d'implorer la déesse. Une dizaine de minutes plus tard, Jordan se tourne vers moi et ne prononce que ces mots « ça ne fonctionne pas », les yeux remplis de larmes. Je m'approche de lui pour tenter de le réconforter. Sans succès.
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Moïra - Tome 1 : La Malédiction des Dunn
FantasyKingston Springs, petite ville tranquille du Tennessee, est mon pire cauchemar. Malheureusement pour moi, elle est ma prochaine destination. Je pensais n'y faire qu'un aller-retour mais me voilà embarquée dans l'histoire rocambolesque de la ville. E...