Chapitre 8 - Partie 2

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          Mon cœur subit une tachycardie qu'il ne connait seulement lorsque je suis en situation de stress. Je me force à rester détendue mais le choc et l'impact de tout ce que j'ai appris ne me facilite pas la tâche.

          L'inspecteur Stroke semble jauger ma réaction suite à sa tirade. Il sait. Il sait pour le pacte des Dunn avec le Diable. Comment peut-il être au courant de cette histoire fantaisiste ? Y croit-il ? Pense-t-il que je suis au courant ? Ou alors prêche-t-il le faux pour savoir le vrai ? 

          Je penche plutôt pour la troisième proposition. Il est policier. Il est cartésien. Il a évoqué l'idée que le meurtrier était atteint d'une maladie psychiatrique. Il ne doit certainement pas croire au surnaturel. Détends-toi Beth. Montre-lui que tu ne sais pas de quoi il parle.

— Mes parents me lisaient des histoires tirées de livres, exposé-je avec légèreté.

— Et Madame Greenwich ? Elle ne vous en racontait pas ?

— Non. Pas à moi du moins. J'avais mes entraînements de volleyball et je rentrai directement à la maison.

— Vous avez commencé le volley très tôt, opine-t-il, connaissant, visiblement, très bien ma biographie.

— Oui à 6 ans. On a même gagné les championnats plusieurs années d'affilée.

— Wow. Félicitations.

          Avec soulagement, je vois mon taxi arriver. Passer un interrogatoire de dernière minute n'est vraiment pas ce que je préfère. Surtout quand mon interlocuteur veut me faire avouer qu'il se passe des choses inhabituelles à Kingston Springs. J'espère que mon ton léger n'a rien laissé transparaître quant à ma tempête intérieure.

— Voilà mon taxi. En tout cas, malgré les circonstances, c'était un plaisir de vous rencontrer Inspecteur et bon courage pour votre enquête, expédié-je.

— Gardez votre téléphone près de vous Mademoiselle Dunn. J'aurai sans aucun doute besoin de vous joindre, me prévient l'inspecteur.

— Bien sûr. Bonne journée.

          Après cette conversation non désirée, je m'empresse de monter dans le taxi alors que le chauffeur prend ma valise pour la mettre dans le coffre. Je souffle un bon coup. Il est grand temps que je parte de cette ville. 

          Alors que je suis en train de mettre ma ceinture de sécurité, la porte arrière à l'opposé de la mienne s'ouvre et laisse apparaître Madame Greenwich. Elle me regarde intensément dans les yeux, laissant prédire l'importance de ce qu'elle va dire.

— Tu ne dois pas lui faire confiance Beth, m'ordonne-t-elle.

— Vous parlez de l'inspecteur Stroke ?

          Même si cela semble évident, avec la bibliothécaire, il faut s'assurer de tout. Elle a le chic de discuter de quelque chose alors que le sujet n'est pas abordé. Elle a l'air sérieux mais ne dit rien. Comme d'habitude, elle m'annonce qu'il y a une bombe mais ne me donne aucun détail pour la parer. Ça commence à vraiment me fatiguer.

— Cela n'a plus aucune importance Madame Greenwich. Je retourne à Baltimore et je ne reviendrai plus dans cette ville, lui garantis-je.

— Tu ne peux pas t'en aller Beth et tu le sais, objecte-t-elle. Repartir à Baltimore ne changera absolument rien. Il te retrouvera où que tu sois. Si tu crois que le Diable ne peut agir en dehors de Kingston Springs, c'est une chimère. Ce qui ne l'est pas, ce sont nos choix qui nous définissent ainsi que nos actions. Tu es quelqu'un de bien Beth, quelqu'un qui se soucie des autres, argue la bibliothécaire.

— Vous croyez réellement que si je pars sans "m'offrir" au Prince des Enfers, la ville va à sa perte, sous le commandement de Michael Davenport, me moqué-je.

          Ce n'était pas une question, juste une affirmation. Bien sûr qu'elle le croit. Est-ce qu'elle sent qu'une tempête s'annonce si je décide de partir ? Évidemment. 

          Bien qu'elle soit, en quelques sortes, en marge de la société, Madame Greenwich s'est toujours souciée du bien-être des habitants. Elle parle du bien et du mal avec philosophie, comme une porte-parole, destinée à nous montrer la voie. Elle agit auprès des plus jeunes.

          Les adultes la trouvent bizarre tandis que leurs enfants la trouvent fascinante. Ces derniers adoraient aller à la bibliothèque pour entendre ses histoires. Petite, j'étais jalouse. Mes parents refusaient que j'aille y assister avec Serena et Jamie. Maintenant, je sais pourquoi. Ils avaient trop peur qu'elle me révèle le secret si bien gardé des Dunn.

          Ce qui me turlupine est que Jamie semble m'en avoir parlé mais que je n'en ai aucun souvenir. Comment ai-je pu oublier une telle histoire ? Et pourquoi Madame Greenwich n'a-t-elle jamais évoqué le sujet lors de nos discussions ? C'est insensé.

— Vous pouvez m'expliquer pourquoi je ne me souviens pas qu'on m'ait parlé de cette histoire sordide ? l'affronté-je.

Tes parents ont fait intervenir un hypnotiseur pour que tu oublies tout ce qui se rapprochait de près ou de loin à cette malédiction, m'informe-t-elle, d'un air détaché, comme si elle parlait d'une pratique normale.

Pardon ? m'étonné-je. Enfin, je ne sais pas si je suis plus étonnée par l'action de mes parents ou par le fait que vous ayez répondu, sans énigme, à ma question.

— Ils ne cherchaient qu'à te protéger Beth.

— Oui, j'ai déjà entendu ça. N'y a-t-il pas une autre solution ? Je ne veux pas "appartenir" au Diable. Est-ce si égoïste de vouloir une vie heureuse et non une vie maudite en dépit d'autres personnes ? Est-ce que je n'ai pas assez souffert ? m'indigné-je.

— Même si une vie heureuse aux dépens des autres est égoïste, tu es humaine Beth. La nature humaine est égoïste par définition. Elle est à la recherche du bonheur continu. Sauf qu'elle est accompagnée d'une conscience, plus ou moins développée selon les gens. Malheureusement pour toi, ta conscience l'est excessivement. Si tu décides de t'en aller, tu ne seras jamais capable d'être complètement heureuse. Tu garderas en tête que tu n'as pas fait ce qu'il fallait, m'explique-t-elle, d'un air désolé.

— C'est la première fois que vous me donnez des réponses concrètes. Qu'est-ce qui vous a fait changer d'avis ?

— Je t'apprécie énormément Beth, s'adoucit-elle.

— Mais vous me demandez de me sacrifier à la plus vile créature, sommé-je, amère.

          Elle m'offre un sourire désolé et s'apprête à sortir du taxi lorsqu'elle se retourne vers moi avec un petit sourire réconfortant.

— Rappelle-toi Beth. Il n'est pas le seul à tes côtés.

 Il n'est pas le seul à tes côtés

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Moïra - Tome 1 : La Malédiction des DunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant