Moïra - Tome 1 : La Malédiction des Dunn

Chapitre 23 - Partie 1 (Jordan)

           Le silence nous accompagne depuis notre départ des rives du lac Averne. Ni Ashley, ni moi-même n'osons interrompre le mutisme de notre chauffeur. Charon, les yeux rivés sur un point invisible, ne prononce aucun mot. Il n'est qu'un passeur d'âmes, qui ne se soucie que d'avoir son paiement. Faire la conversation ne l'intéresse point. 

           Un sentiment d'inconfort et de malaise, dû à sa présence, parcourt mon échine. J'admets être effrayé par la situation dans laquelle nous nous trouvons. Je voulais avoir des preuves que tout était réel, que la mythologie gréco-romaine existait. À présent, j'aimerais prendre mes jambes à mon cou et tout oublier de cette histoire mais je ne peux pas. Pas encore.

          J'essaye de calmer mon cœur qui semble être pris au piège et qui martèle ma cage thoracique, sans succès. Ce qui me rapproche de Beth me mène dans un endroit où je vais risquer ma vie et celle d'Ashley. J'ai beau vouloir tout mettre en œuvre pour sauver ma future femme, je ne souhaite pas mourir mais je sais aussi que périr pour elle est une fin plus qu'acceptable.

          Je comprends pourquoi les parents de Beth ont tourné le dos à la vie pour elle. Non qu'ils désiraient mettre fin à leurs jours mais ils savaient ce pour quoi ils se sacrifiaient. Elle était leur raison de vivre, leur plus grande fierté et leur espoir pour le futur. Vivre sans elle n'aurait rimer à rien, comme ce sera le cas pour moi si je l'abandonne.

          Je sens une forte pression sur mon bras. En me retournant vers Ashley, je m'aperçois que son regard est figé sur l'eau qui nous entoure. Quelque chose, non, quelqu'un se meut sans émettre aucune onde sur la surface du lac. 

          L'obscurité de l'eau met en exergue des formes humaines argentées, qui semblent aller et venir autour de nous, s'enfoncer vers les profondeurs et revenir à la surface comme si elles étaient prisonnières.

— Je ne m'approcherais pas trop si j'étais vous, nous conseille Charon.

— Pourquoi ? Ces gens ont besoin d'aide, s'écrie Ashley.

— Ce ne sont que des reflets des larmes de personnes en repentir.

           "Charon a raison Jordan. Vous êtes en train de voguer sur le Cocyte. Si vous touchez ses eaux, vous finirez dans un état de dépression insurmontable."

           La douce, mais inquiète, voix d'Aphrodite m'intime à prendre ce conseil au sérieux. Ce n'est pas le moment d'être attaqué par un chagrin immense. Comment pourrions-nous nous concentrer sur notre mission si nous nous mêlons à leurs larmes ? Il nous reste du chemin à parcourir jusqu'à Beth.

— Ash... arrête de les regarder. On ne peut rien pour eux.

— Mais...

— C'est un piège pour nous empêcher de continuer notre route, l'interromps-je. 

          Elle me regarde dans la plus totale incompréhension mais hoche tout de même la tête et engouffre son visage dans ses mains. Ma main dans son dos ne semble pas l'apaiser mais je maintiens ma position.

          Nous savions que cela n'allait pas être facile mais ce monde, si étranger, nous met face à ce que nous redoutions ; les obstacles des enfers. Et je sens que cela ne va aller qu'en empirant et les monstres ne seront pas aussi subtils que les âmes éplorées.

          L'obscurité est maîtresse en ses lieux. Seule la torche de Charon apporte un peu de lumière et nous guide sur notre chemin. Après deux bonnes heures, nous apercevons enfin une rive, illuminée par deux énormes flammes, portées par deux piliers en marbre. Derrière eux, trône une arche immense où le mot "Inferni" est inscrit en lettres dorées.