Chapitre 16 - Partie 1 (Elisabeth)

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          Je ne sais pas depuis combien de temps j'ai quitté Kingston Springs, deux jours ? Une semaine ? En tout cas, je n'ai rien mangé depuis. Aujourd'hui est le jour J. Le jour de mon mariage avec le Diable. Il y a de quoi vous couper l'appétit. Je n'ai pas réussi à dormir de la nuit, enfin... si c'était bien la nuit. En Enfer, il n'y a aucun moyen de différencier le jour de la nuit. Je n'ai toujours pas de fenêtres et je ne peux voir ce qui se trouve à l'extérieur. Je me sens faible et pas d'attaque à affronter cette cérémonie.

          Deux serviteurs arrivent. L'un se présente comme Bruno, mon coiffeur, l'autre comme Daisy, ma maquilleuse. Je n'ai pas envie de tout ça. Je n'ai aucunement envie de faire des efforts pour un mariage que je ne désire pas. Je les regarde sans les inviter à commencer.

— Peut-être devrions-nous commencer par le maquillage, Mademoiselle ? propose Bruno.

— Je n'ai pas besoin de toutes ces fioritures.

— Mais le Maître a spécifiquement dit que tout devait être parfait, affirme Daisy.

— Oh donc il pense que je ne suis pas parfaite comme je suis ?

          Je vois à quel point Daisy est confuse sur comment elle doit répondre à cela. Soit, elle me blesse parce que, soyons clairs, je pense que je ne suis pas à mon avantage à cet instant. Soit, elle prend le risque que je ne sois pas parfaite pour le grand jour. Bruno, quant à lui, ne mâche pas ses mots. Son accent espagnol accentue encore plus ses propos.

— Très franchement, et avec tout le respect que je vous dois Mademoiselle, vous avez l'air d'une morte-vivante. Votre teint est blanc, vos cheveux sont complètement ternes et désordonnés et vous avez d'énormes cernes, comme si vous n'aviez pas dormi pendant des jours.

— Je vous aime bien. Vous êtes franc. Le truc c'est que je me fiche de ce mariage, donc je me fiche de l'allure que j'y aurai.

— Sauf que nous avons des directives Mademoiselle. Donc, si vous ne voulez pas nous voir punis, mettez-y un peu du vôtre, clame mon coiffeur.

          Parfois, j'aimerais ne pas avoir de conscience, d'être comme Hadès qui se fiche éperdument des autres. C'est ce qui m'aurait évité les ennuis en premier lieu. Malheureusement pour moi, à cet instant, je n'ai pas d'autre choix que d'accéder à leur demande.

— D'accord. Allez-y mais rien d'exubérant, m'incliné-je.

          La maquilleuse installe son matériel et positionne un miroir sur le bureau en face de moi. Ils ne mentaient pas. J'ai l'air d'une morte. Plus la maquilleuse avance dans son travail, plus je me rends compte à quel point le maquillage est une forme d'art. Mon teint est radieux et solaire. Mes pommettes sont rehaussées avec une touche de blush. Mes yeux verts ressortent parfaitement et ma bouche est discrètement maquillée. Mon visage n'a jamais été aussi parfait, sans défaut. 

          J'ai quand même des circonstances atténuantes. Ce n'est pas en faisant des gardes de vingt-quatre heures que je peux aisément m'occuper de moi. Mon maquillage habituel se définit surtout par du baume à lèvres et du mascara. Concernant ma coiffure ? Un chignon décoiffé, oui simplement décoiffé, fait généralement l'affaire. Quand je sors, c'est différent mais il faut avouer que je suis plus à l'hôpital qu'en boite de nuit. Bruno ne veut pas que je voie son travail avant la fin. Il me met dos au miroir et se met à travailler en silence.

— Ça vous plait de travailler pour le Diable ? lui demandé-je.

— Ce n'est pas le Diable, me contredit-il en restant concentré sur son travail.

— Comment vous appelez celui qui conclut des pactes pour obtenir des sacrifices ?

— Chaque dieu demande des sacrifices. Au final, un sacrifice reste un sacrifice, affirme mon coiffeur, me regardant droit dans les yeux.

Moïra - Tome 1 : La Malédiction des DunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant