Chapitre 1 - Partie 2

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          Je rentre dans la maison qui était autrefois la mienne, mon cocon. Tout est tel qu'il était auparavant. Les escaliers en bois semblent être cirés comme à leur habitude. Les tableaux représentant les différentes générations des Dunn sont exposés le long des murs tel un musée familial.

          L'histoire des Dunn, à travers les époques, montre l'importance de notre famille pour la ville : leur arrivée à Kingston Springs, la consécration de Lewis Dunn en tant que premier maire, l'inauguration d'une presse neutre par Lewis Dunn et son fils Francis, et ainsi de suite. Tant de réussite au commencement pour terminer comme une famille lambda.

          Je m'apprête à monter les escaliers avec ma valise lorsque Charles Stones, notre majordome, me salue avec un grand sourire et s'empresse de me la retirer des mains.

— Charles. Je suis tellement contente de vous revoir, le salué-je, en le prenant dans mes bras.

— C'est également un grand plaisir pour moi Mademoiselle Dunn. La demeure semblait bien vide sans vous, me répond-t-il, me rendant mon étreinte avec douceur.

— Vous ai-je tant manqué ?

— Un rayon de soleil manque toujours aux personnes qui le recherchent Mademoiselle.

— Vous m'avez manqué vous aussi... ainsi que nos parties d'échec, dis-je d'un ton espiègle accompagné d'un clin d'œil.

— Je reste à votre disposition s'il vous en vient l'envie.

          Je lui adresse un sourire bienveillant et le suis jusqu'à l'étage. Charles ouvre la porte de la chambre qui fût mienne. Comme Faith l'a mentionné, tout est resté tel quel. Je remercie le majordome, qui s'éclipse pour me laisser avec ma tante.

          J'observe l'intégralité de ma chambre. Mes photos, mes peluches et mes trophées sont à leur place. Aucun grain de poussière n'est présent. Une photo de mon père, ma mère et moi trône sur mon bureau. Nous avions l'air heureux.

          Je me souviens du jour où elle a été prise. Nous étions partis à Los Angeles pour mes quatorze ans durant les vacances. Ma mère était institutrice en maternelle. Du coup, nos emplois du temps concordaient parfaitement. Pour ce qui est de mon père, quant à lui, il était plutôt libre de poser les congés qu'il souhaitait.

          Lors d'une randonnée qui nous avait menés aux lettres Hollywood, nous avions pris une photo de notre ascension pour montrer notre réussite en famille. Plutôt cliché, je sais, mais ça n'avait pas la moindre d'importance. Nous étions heureux à ce moment-là. Nous étions soudés... mais la famille parfaite a volé en éclat lorsque ma mère est morte. Je pose délicatement le cadre photo dans le tiroir du bureau et regarde par la fenêtre.

          Ma tante n'a pipé aucun mot depuis notre entrée dans mon ancien sanctuaire. Elle m'a laissé le temps d'absorber tous les souvenirs qui me sont revenus, tel un boomerang, lors de ma contemplation. Je sens qu'elle est indécise sur ses prochaines paroles.

          Malgré nos nombreux échanges ces dernières années, ils sont restés concentrés sur ma vie actuelle, ne laissant aucune place au passé. Évidemment, elle a plusieurs fois tenté de me parler de mon père mais je coupais court à la conversation à chacune de ses tentatives et je filtrais ses appels à plusieurs reprises à leur suite. 

          À force, elle a compris que si elle voulait avoir de mes nouvelles, elle devait cesser d'évoquer mon paternel ce qui, au final, résultait en des échanges malaisants pour elle.

— À quelle heure est le service demain ? demandé-je, essayant de briser le silence gênant.

— Neuf heures trente.

— Très bien. Je... je vais aller faire un tour en ville, me prendre un café et travailler.

          Finalement, la gêne m'a atteinte par sa réponse simple. Je savais que cela allait être compliqué de revenir et de faire face à ceux qui m'ont connue auparavant ; à Faith qui défend toujours mon père, à qui je voue une haine incommensurable. Il ne peut en être autrement. Il a forgé l'opinion que j'ai de lui.

— Tu peux prendre le café et travailler ici, propose Faith, d'une voix douce.

— J'ai besoin de prendre l'air tante Faith ! m'écrié-je.

          Elle a l'air blessé. Je ne la blâme pas. Je lui ai pratiquement crié dessus... sans réelle raison. Enfin, toute la pression accumulée depuis l'annonce de la mort de mon père en est la cause. Elle me sourit doucement et commence à partir.

— Je suis désolée tante Faith. C'est juste que... revenir ici... ce n'est pas facile pour moi. J'ai besoin d'un peu de temps, m'excusé-je d'un ton honteux.

— Ce n'est rien. Je comprends. Tu mangeras avec nous ce soir ?

— Bien sûr.

          Elle me sourit un peu plus sincèrement et me laisse à mes pensées et à mon sentiment de culpabilité. Je deviens très irritable lorsque je suis surmenée par mes émotions et que je ne me sens pas à ma place. J'ai besoin de prendre mes distances, de souffler et d'établir un plan d'action pour que ça ne se reproduise plus. L'anticipation est la clé de la réussite. Tante Faith ne doit plus subir mes sautes d'humeur. Elle n'en est pas la cause et ne mérite pas la manière dont je lui parle.

          La sonnerie de mon téléphone interrompt mes pensées.

Jordan Rothermere.

— Jordan ?

— Coucou mon ange. Je voulais savoir si tu étais bien arrivée vu que tu ne m'as ni appelé ni envoyé de message comme tu me l'avais dit.

— Je suis désolée. Ce n'est pas facile d'être de retour et j'admets que je suis plus focalisée sur le fait de gérer mes émotions que sur toi. Désolée.

— Ne t'excuse pas Beth. Tu vis des moments difficiles. Malgré ta tentative de tout laisser dans le passé, ton père a tout de même compté pour toi et revenir ne doit pas être facile. Tu veux que je te rejoigne ?

— Crois-moi, je ne rêve que de ça mais je ne veux pas que tu loupes le boulot et puis je ne reste pas longtemps donc ce n'est pas la peine et...

— Et ?

— Et je crois que j'ai besoin de gérer ça par moi-même pour... tourner la page. Enfin, pour de bon cette fois.

— En tout cas, à n'importe quel moment, si tu veux que je saute dans le premier avion, tu n'as qu'à me le dire.

          Je raccroche, le sourire aux lèvres, après l'avoir remercié et lui avoir exprimé mon amour. Il est l'une des deux personnes qui arrivent à briser mes barrières sentimentales mais, maintenant que je suis de retour, elles se reconsolident.

          C'est mon instinct de survie, ma bouée de sauvetage. Je n'ai pas d'autres choix. Pour faire face à cette mise en scène et ne pas chambouler la vie que j'ai construite, je dois fortifier mes boucliers.


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Moïra - Tome 1 : La Malédiction des DunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant