À vos cahiers

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J'ai toujours aimé les débuts. Même ceux qui te foutent une angoisse monstre. Ce ne sont jamais ceux-là, les plus intéressants. Ils s'avèrent toujours être banals, au final. Ils représentent surtout une fin : celle d'une peur, d'une anxiété, d'un préjugé. J'ai toujours aimé les débuts. Encore plus ceux qu'on ne voit pas commencer. Ceux qui ne nous préviennent pas lorsque l'histoire commence. Ceux qu'on arrive à retracer seulement après.

- Jeunes gens, un peu de calme s'il-vous-plaît !

La rentrée vient à peine de commencer et voilà que Madame Jankowski, professeure de français, est déjà aux aguets. Dans la salle de conférence du lycée, elle essaye de dissiper l'effervescence du début d'année scolaire pour nous regrouper par classes.

- Mais madame, laissez-nous encore un peu profiter encore du seul temps libre qu'il nous reste avant de retourner au hebs !

Fou rire général. Celui qui amuse la galerie, c'est mon meilleur ami, Demba.

- Je vous rappelle que les vacances d'été sont terminées et que, cette année, vous n'avez pas de temps à perdre. Dans près de quarante semaines, vous passerez les épreuves du bac, et vu votre niveau, très cher, à votre place, je m'empresserais de monter en classe !

Madame Jankowski a une répartie qui décourage même les élèves les plus téméraires de répondre.

- Ok madame, vous avez gagné, s'avoue vaincu Demba en s'inclinant.

Demba et ses mimiques suscitent toujours le rire. Heureusement pour nos avenirs, après toute une scolarité passée dans la même classe – de la maternelle au lycée -, notre duo de choc a été séparé. L'année dernière, Demba a choisi la filière économique, et moi, la filière littéraire. Mais ce n'est pas ça qui signera la fin de notre amitié. Il continue de me divertir en faisant le clown dans la cour et à me régaler en me racontant les derniers potins du lycée à la cantine. C'est le premier jour de l'année scolaire et il en a déjà déniché !

Madame Jankowski lance un petit sourire complice à Demba, elle connaît bien son sens de l'humour. S'il est vrai qu'elle peut se montrer sévère avec nous, on sait pertinemment qu'elle n'est que bienveillance. Et comme on l'aime - ou qu'on la craint -, nous voilà rangés par classes, à deux doigts de donner la main à notre voisin. Je découvre avoir la chance de l'avoir comme professeure principale. Elle est de ces rares professeures à détenir le privilège de l'autorité naturelle, couplée à la passion de l'enseignement de sa discipline. J'ai la chance de suivre ses cours depuis la seconde et, si j'ai toujours aimé les cours de littérature, je crois que, grâce à elle, cette inclination s'est confirmée. Sans elle, je n'aurais peut-être jamais choisi de faire une filière littéraire. C'est elle qui m'a poussée à suivre ce qui me faisait vibrer le plus. Ce qui m'est destiné ne pourra m'échapper, m'a-t-elle dit, bien que, dans mon esprit, mes perceptives d'avenir sont loin d'être claires.

Madame Jankowski est d'origine polonaise. Elle a cette rigueur impassible, ce chérissement des valeurs, qui font d'elle l'une des femmes les plus intègres que j'ai pu rencontrer jusqu'à présent. Elle a une allure assez conservatrice, la même que celles qui votent à droite. Elle ne parle presque jamais d'elle - déontologie du métier oblige - mais je sais qu'elle est une fervente chrétienne. Si je ne la connaissais pas – et que je ne savais pas qu'elle souhaite une bonne fête de l'aïd à ses élèves musulmans tous les ans -, je croirais sûrement qu'elle est raciste.

J'ai toujours aimé les débuts, l'idée de pouvoir tout recommencer. Je les prends comme une opportunité de faire mieux, de vivre encore plus intensément. De faire table rase, aussi. J'ai l'impression qu'on m'offre le pouvoir de reprendre le contrôle. Souvent, je le sens : il faut changer quelque chose, que ce soit grandiose, mais je ne sais jamais quoi.

Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant