L'horloge tourne. Tourne, à reculons, au-dessus du tableau. Mes yeux restent fixés sur l'aiguille. De temps en temps, mes yeux se jettent sur Hadda, en un battement de cils furtif. Toute cette histoire me paraît insensée. Le coup de pression de l'autre fou m'a rendu dingue, je n'arrête pas d'y penser. À chaque nouvel échange avec TJ, j'ai cette sensation bizarre qui traverse tout mon corps. C'est comme s'il me prévenait de quelque chose. Comme s'il avait peur, lui aussi. Ce type n'est vraiment pas net. Je fais semblant de garder mon sang froid mais la vérité c'est qu'il m'a vraiment fait flipper l'autre fois. Hadda ne mérite pas d'autres problèmes. Mais je ne veux pas la perdre. Maintenant que je l'ai rencontrée, je ne me vois pas séparé d'elle. J'aimerais qu'un miracle s'abatte sur nous pour pouvoir vivre avec elle seulement d'amour et d'eau fraîche. Si elle m'aime. C'est la première fois que j'arrive à m'imaginer un futur avec une meuf. La maison, le jardin, les enfants, tout ça. C'est avec elle que je le veux. Je grandis avec elle, je le sens, et je ne veux pas que ça s'arrête. Même si, un jour, on arrête de se parler, ce sera toujours elle que je voudrai. Pas une autre. C'est elle ou rien. Point. J'vais tout faire pour que l'autre chien lâche ma veste.
Le regard figé vers le tableau, les poings serrées autour mon stylo, ma jambe tremble incontrôlablement. Encore plus que d'habitude. J'sais pas si c'est le stress, la fume, les deux. J'en avais presque oublié que j'étais au lycée. Ça me fait tellement chier. J'suis désillusionné. Moi qui croyais que changer de filière allait me faciliter d'y aller. Mais bon. C'est moi qui ai voulu aller en littéraire, c'est à moi d'assumer. Et, en attendant, tout ce que je fais, c'est me laisser submerger par tout le reste. Je jette un dernier coup d'œil à l'horloge. Il me reste encore un peu de temps pour sauver ce que j'ai raté. Je lève la main et demande à la prof d'approfondir les derniers points du cours qu'elle a énoncé pour faire comme si j'avais suivi, alors que j'ai vraiment besoin qu'elle répète ce qu'elle vient de raconter. Au moins, elle croit que je fournis des efforts de participation. Bref, faut vraiment que je m'y mette. Mais là encore, y'a qu'avec Hadda que j'y arrive vraiment bien. C'est à croire qu'elle m'est devenue indispensable, inévitable.
Avant que je ne quitte la salle, Madame Jankowski me lance un sourire satisfait. Meskina, si elle savait. Je baisse la tête, honteux.
La prof d'anglais est encore absente et comme, dans ce foutu lycée, ils ne sont pas capables de trouver de remplaçant, on a encore une heure de trou de 9h à 10h. Le truc qui fait bien chier tout le monde, depuis presque un mois entier. Déjà que c'était pas mon fort, cette langue, j'sais pas comment je vais pouvoir réussir l'épreuve du bac.
Comme souvent, on traîne avec le reste de la classe pendant cette heure-ci. Ça m'arrange plutôt bien, surtout en ce moment, comme ça je peux passer du temps avec Hadda sans avoir l'impression de forcer pour la voir. Et j'ai l'esprit plus tranquille. Tous ensemble, on est toujours trop bruyants, c'est pourquoi on se dirige vers le terrain de basket devant l'internat, en retrait, histoire de ne pas faire trop de bruit dans la cour qui donne sur les salles de cours. La salle de sport est juste en face, on n'aura pas d'excuse pour être en retard au prochain cours. Par chance, il ne pleut pas aujourd'hui. Les plus rapides s'assoient sur le banc - autrement dit Leïla, Emma, Sarah et Zak, ces feignasses qui savent courir lorsqu'il s'agit de pourvoir leurs intérêts. Avec les autres, on s'assoit par terre.
Je m'assois à l'opposé de Hadda. Si je dois arrêter de la côtoyer, autant s'habituer dès maintenant. Ses sourcils froncés croisent mon regard fuyant plusieurs fois au milieu des débats enflammés et des rires sur les derniers potins du lycée. Je la sens me chercher du regard, attendre de moi un sourire complice, un compliment ou juste un « ça va ? ». Mais rien, rien de tout ça. À la place, seulement de la déception dans son regard. Si je le pouvais, je me lèverais maintenant, je lui ferais une ribambelle de compliments sur sa tenue, sur ses cheveux somptueux et sur son parfum sucré. Mais rien, rien de tout ça. C'est cramé.
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Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉE
Teen Fiction[Complète] C'est un soir qu'il est parti. Sans un mot. Sans un bruit. Le lendemain de son départ, Hadda trouve une lettre sur le bureau de son grand frère. Je ne reviendrai pas, a-t-il écrit. Mais Hadda refuse de se contenter de l'histoire officiell...