Une seconde. C'est la durée que tu prends le temps de réaliser que tu subis une bavure. Juste une seconde pour comprendre. C'est comme pour les actes racistes, tu sais ce qu'il se passe, mais tu ne sais jamais comment réagir. Ce ne sont pas les coups, ni les blessures, ni les insultes qu'ils gravent sur ton corps. C'est le regard haineux et acéré du policier qui te menace du regard. Juste ça, et tu sais comment ça finira. Lorsque t'as mon nom, mon prénom, et ma tête, t'as l'habitude. Surtout depuis les attentats. C'est encore pire. Tu n'es pas suspect parce que t'as une dégaine bizarre, tu es suspect parce que tu es de fait Arabe. J'y ai souvent échappé, aux contrôles de police brutaux. Parfois même de très près. J'y ai assisté, aussi. Impuissant. Désemparé. La plupart du temps, j'sais même pas pourquoi on me contrôle. Sûrement parce que je porte un survêtement, et que j'ai une sale gueule d'Arabe. J'aime pas la police, j'aime pas l'autorité, mais j'ai jamais eu envie de me rebeller. Non pas parce que je ne bous pas de rage, mais parce qu'à quoi bon. Depuis des années, on a compris. On sait comment ça se passe. On sait que la justice ne sera jamais de notre côté. Ils ont commencé avec nos grands-parents, ont poursuivi avec nos parents, et ancrent bien profondément leur tradition avec les enfants. J'ai pas envie de leur donner de mon temps. J'ai pas envie de m'humilier à quémander des droits, des libertés, pour qu'encore une fois on me chie dessus et on étale sa merde sur moi.
Alors voilà, ça a été vite plié. Mon choix, je veux dire. Mon silence contre ma liberté. J'ai pas longuement réfléchi. J'ai pas l'envergure d'Ali X. Sans Monsieur Ndiaye, j'aurais été encore frappé et incarcéré. J'ai appris à négocier le meilleur dans le pire. Parfois, t'as pas tant que ça le choix. Alors, je ne dirai rien. Pas pour l'instant, en tout cas. Quand tu sais que t'es en bas de l'échelle sociale, tu sais qu'il faut saisir ce qu'on te tend parce que ça ne se représentera pas beaucoup de fois. J'ai des potes qui sont tombés pour rien du tout. Ils avaient pas les bons filons, tout simplement. Faut pas croire, c'est partout pareil. Même dans la police. Vous croyez qu'ils font quoi avec la beuh qu'ils interceptent pendant leurs contrôles ? Bah ils la fument dans leur convoi. Bah ouais. C'est bien de faire appliquer les lois, mais c'est moins drôle de les appliquer soi-même. J'vous jure. Une fois, je les ai pris en flagrant délit. J'étais posé avec Tim, comme d'hab, un zdeh à la main. Ils s'en tapent habituellement des p'tits fumeurs. C'était l'été. Mais ce jour-là, ils ont décidé de venir nous faire chier. Ils sont descendus, ont joué leur grand numéro, nous ont confisqué notre barrette, nous ont fait promettre de ne plus jamais recommencer, puis, après avoir taillé autre part, on les a recroisés. Dans leur convoi. En train de fumer notre conso. J'avais le seum. En plus, celle-là, c'était de la frappe. On me l'avait ramené d'Amsterdam. Ça changeait des mélanges au goudron flanqués cinq jours dans le cul d'un mexicain que t'achètes dans des endroits douteux de la ville.
N'empêche que j'ai pas parlé, depuis que j'suis sorti. En vérité, j'sais même pas ce qu'ils ont tramé pour me faire sortir. Monsieur Ndiaye m'a rassuré. Il m'a dit que j'avais pas à m'inquiéter parce qu'ils n'avaient pas fait les choses dans les règles me concernant, donc qu'il s'était arrangé avec eux. Il a aussi dit que s'ils s'opposaient à leur petit arrangement, ça pourrait barder pour eux. Faut pas croire qu'il y a que des pourris dans la police, qu'il m'a dit. J'ai pas parlé. J'ai rien dit.
Dans le hall, y'avait ma grand-mère, Timothée, sa mère. Mais y'avait pas Hadda. Pourtant, on m'a dit qu'elle avait auditionnée. Mais j'ai pas parlé. J'ai rien dit.
Avec Téta, on est rentré et on n'a rien dit non plus. Elle est juste partie dormir. Elle a bien compris sur la route que je ne dirai rien. Pas tout de suite. Elle m'a posé mille questions. Et pour la première fois, j'ai pleuré. Devant elle, j'ai pleuré. Comme un bébé. Mais j'ai toujours rien dit. Alors elle a arrêté de parler. M'a laissé tranquille. Est partie dormir. En vérité, la première chose à laquelle j'ai pensé, c'est que ça sera tneket pour ma demande d'émancipation. Mort de chez mort. Si le jury apprend ça - et il l'apprendra -, je peux dire adieu à ce nouvel objectif. Pour une fois que j'en avais un...
J'me suis assis. J'ai regardé l'écran noir, éteint, de la télé. J'ai pas fumé. J'ai pas mis de musique. Rien. Et j'suis resté comme ça. Jusqu'à ce que quelqu'un toque à la porte. Plusieurs fois. Avec insistance face à l'attente. Je me suis levé et :
- Hedi. Mon amour. Viens dans mes bras... Je suis tellement soulagé de te voir là... Sain et sauf... Mon bébé. Viens par là...
Tout en émoi, ma mère. Devant moi. Amoché, je ne comprends pas. Comment a-t-elle su ? Je ne réagis pas, ne la câline pas à mon tour.
- Où est ta grand-mère ? Il faut que je la vois absolument !
- Laisse-la, elle se repose.
- J'en ai rien à faire de ce qu'elle fait. Où est-elle ? me rouspète-elle en pénétrant dans l'appartement.
- N'as-tu pas honte ??? crie-t-elle à la porte de la chambre de Téta, avant d'y entrer. C'est pour ça que je veux mon bébé ! Tu ne sais pas t'en occuper ! Comme tu n'as jamais su t'occuper de moi ! Je veux la garde ! C'est à cause de toi tout ça ! enchaîne-t-elle, le regard hagard.
Réveillée en sursaut de son sommeil, Téta émerge déboussolée. Ne répond à peine.
- Benti... murmure-t-elle avant de comprendre ce qu'il se passe.
C'est alors que, dans un élan de colère, ma génitrice s'approche encore un peu plus de ma grand-mère et lui hurle au visage. J'anticipe l'excès de colère que je lui connais si bien et m'interpose entre les deux.
- Pour qui tu te prends à venir comme ça ici ??? Tu t'inquiètes pour moi maintenant ? Depuis quand tu te prends pour une daronne ? T'as fait quoi, pour moi, en 17 ans ? Rien du tout. Si j'en suis là aujourd'hui, c'est de ta faute à toi ! Pas celle de Téta. Elle, elle a tout fait pour moi. T'as même pas honte, regarde-toi ! Débarquer ici après des mois de silence. Tu crois que tu vas l'avoir la garde ? Tu crois que j'suis con ? Tu crois que j'veux vivre avec toi, moi ? De toute façon, tout ça, ça sera bientôt fini. J'ai demandé mon émancipation et tu pourras rien faire contre ça.
- Mon bébé... Je...
- Je quoi ? Je, je, je... C'est toujours toi d'abord ! C'est pour ça que t'aurais jamais dû enfanter. J'ai pas besoin de toi, moi. Et j'ai pas besoin d'entendre tes vieilles explications à deux balles. Les faits parlent d'eux-mêmes. Alors maintenant, tu vas te diriger vers la porte d'entrée, te casser et plus jamais revenir. C'est compris ???
Les yeux mouillés, ma mère lâche un misérable sanglot avant de se reculer, en même temps que je m'avance vers elle pour la faire fuir de l'appartement. À la porte, elle ne riposte pas mais s'arrête un instant.
- Le juge sera avec moi, lance-t-elle fermement, avant de tourner les talons sans refermer la porte, je vous le jure.
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Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉE
Teen Fiction[Complète] C'est un soir qu'il est parti. Sans un mot. Sans un bruit. Le lendemain de son départ, Hadda trouve une lettre sur le bureau de son grand frère. Je ne reviendrai pas, a-t-il écrit. Mais Hadda refuse de se contenter de l'histoire officiell...