Nouvelle année, nouvelle vie on a dit. Ça y est. J'ai fait mon choix. J'ai décidé d'avancer, de prendre ma vie en main. Littéralement. J'ai rempli ma demande d'émancipation. Ma grand-mère l'a signée, un petit pincement au cœur. Elle n'a pas pu s'empêcher de grimacer consentant à l'approuver, ni d'exprimer son inquiétude en la relisant dix fois avant de poser l'encre sur le papier. Je lui ai promis que, quoi qu'il advienne, je la verrai tous les jours.
Si tout va bien, j'aurai une réponse dans quelques semaines. Si elle est acceptée, je passerai devant le juge. Ça me fait chier tous ces papiers mais, au moins, ça me permet de me forcer à élaborer un projet concret. L'assistante sociale m'a conseillé de ne pas seulement mettre en avant les avantages familiaux à devenir indépendant mais aussi de mettre l'accent sur ce que je veux faire de ma vie. Par exemple, créer des projets, entreprendre... Je n'y avais jamais pensé. À l'école, on nous parle toujours que des études sup, de la fac et, parfois, des filières pros. Moi j'me reconnais dans rien de tout ça. J'sais que c'est pas fait pour moi. L'assistante sociale a ouvert une boîte de pandore qui me redonne un peu espoir en mon avenir. C'est vrai que j'ai toujours préféré travailler solo et être indépendant. J'déteste devoir dépendre des gens. Encore plus lorsqu'ils ne sont pas carrés. Au moins, quand t'es solo, tu décides de tout, tu travailles comme tu le souhaites, tu définis tes objectifs à ta manière et tu choisis tes horaires. Depuis que j'ai rempli ce papier, je regarde des vidéos de jeunes qui ont créé leur entreprise. Rien ne m'inspire, pour l'instant. C'est que des gens matrixés par le capitalisme qui se donnent à fond dans des projets bancaux comme le drop shipping ou la cryptomonnaie. En vrai, quand je m'imagine dans quelques années, je me vois bien dans un film, en train de jouer. Ou sur une scène, n'importe laquelle. Peut-être aurai-je enfin le courage de rapper mes textes. Une vision qui me plaît bien, aussi, c'est celle de moi, assis dans une grande chaise de bureau noire, devant une table de mixage, à produire l'album d'un bon rappeur. Ouais, j'crois que ça me plairait bien d'ouvrir mon propre studio. Le rap, ça a toujours été plus que de la musique pour moi. C'est un moyen d'expression, d'affirmation, de revendication. C'est toute une culture qui porte une force que je n'arrive pas à exprimer en dehors de la musique. Soit tu n'aimes pas le rap, soit tu le vis. Y'a pas d'entre deux. En plus, si j'suis émancipé, je pourrai avoir mon propre logement. L'assistante sociale m'a dit que j'aurai le droit à des aides. Ça sera pas un loft shab New-York mais je pourrai quand même déjà y monter un petit studio d'enregistrement. Faut pas grand-chose pour commencer, je me suis renseigné. Y a pas mal de mecs de mon âge qui veulent se lancer dans la musique, qui publient leur freestyle sur les réseaux sociaux. Je pourrai les aider à se propulser, à parfaire leurs sons. J'dis pas que j'suis un pro - faudra que j'apprenne -, mais avec un bon mix, ça fait tout de suite plus propre. Et ça aide. Aujourd'hui, plus personne n'écoute de chansons avec un fond bancal qui grésille. Tout est premium. Il faut suivre. L'époque du rap des caves est finie.
Pour mettre le plus de chances de mon côté, j'ai décidé d'aller déposer ma demande au tribunal de grande instance en main propre. Comme ça, s'il manque un papier, ils me le diront directement. Toujours trop de papiers dans ce pays, c'est décourageant parfois. J'sais pas comment font les gens qui ne savent ni lire ni écrire.
Jela m'accompagne en toum. On s'est croisé juste avant que je parte et il a insisté pour m'accompagner. Il a ses défauts mais, ce qu'on ne peut pas lui retirer, c'est qu'il sait se rendre serviable. J'vais pas mentir, j'ai pensé à toute la route à faire en métro et j'ai vite posé mes fesses dans sa caisse. J'lui ai pas dit c'était pour quoi, il me poserait trop de questions sinon et j'lui fais plus trop confiance depuis. Ça sert à rien de donner des informations sur ta vie alors que les gens en face de toi ne te disent rien sur eux. Ça finit forcément par se retourner contre toi. J'finis par croire qu'on peut vraiment faire confiance à personne dans cette vie. Jela, par exemple, il est grave intrusif parfois. Il pose toujours plein de questions sur ta vie mais lorsque toi, tu lui en poses sur la sienne, il répond seulement évasivement. Par exemple, tout à l'heure, - fallait bien que j'fasse la conversation puisqu'il m'accompagne - j'lui ai demandé ce que devenais Tj. On le voit plus en ce moment, on dirait qu'il a disparu et j'ai l'impression qu'il a passé le relais à Jela pour nous donner les missions. Il m'a juste dit qu'il était parti, « en voyage, j'sais pas où, j'sais plus quand il revient », faussement inaverti. Tu parles. Ça me fait chier qu'on ne me mette jamais au courant des choses.
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Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉE
Teen Fiction[Complète] C'est un soir qu'il est parti. Sans un mot. Sans un bruit. Le lendemain de son départ, Hadda trouve une lettre sur le bureau de son grand frère. Je ne reviendrai pas, a-t-il écrit. Mais Hadda refuse de se contenter de l'histoire officiell...