Je supprime toutes nos photos une à une. Ça n'a pas été si compliqué à faire, finalement. Je n'éprouve presque aucun regret si ce n'est le fait d'avoir mal agi. Notre relation était plus belle en photo qu'en vrai. Encore une à supprimer. C'est fait. C'est plié. Ce baiser avec Hadda a été déterminant pour moi. J'ai alors su que je n'aimais pas Camille. Vraiment pas. Comme d'hab, j'ai fait le bâtard, à la tej avant le bac, mais c'était le moment ou jamais. Je voulais commencer le Ramadan proprement. C'était aussi la dernière semaine pour que Hadda sache que je m'en tape de Camille, qu'elle sache que je ne suis plus avec elle. Pendant toute la semaine d'épreuves du bac, c'est comme si Dieu me mettait face à mes erreurs, à mes retranchements les plus profonds. À ma droite, Hadda et Camille. L'une derrière l'autre. J'ai eu du mal à me concentrer, en plus de la difficulté à comprendre les sujets. J'ai fait comme j'ai pu mais je n'ai pas bien réussi, je le sais. Pour l'épreuve d'histoire, j'ai à peine terminé. J'ai failli rendre copie blanche mais je me suis forcé à ne pas abandonner. Je ne m'attendais pas à mieux que ce que j'ai pu faire. C'était impossible. Au moins, c'est enfin terminé.
Si j'arrive autant à prendre de la distance, c'est parce qu'une bonne nouvelle m'est parvenue. Monsieur Ndiaye m'a appelé pour m'annoncer que je ne serai pas inculpé. Il ne m'en a pas dit plus à ce sujet, simplement que je recevrai bientôt une lettre pour ma demande d'émancipation car, de ce fait, mon dossier va enfin pouvoir être traité convenablement. Tous les jours, après les épreuves du bac, je me suis rué vers la boîte aux lettres dans l'espoir d'y trouver le fameux courrier, tamponné du logo du tribunal. Je l'ai imaginée des dizaines de fois. Pour une fois que je dois recevoir un papier officiel annonciateur de bonne nouvelle.
Aujourd'hui, enfin, elle est entre mes mains. L'odeur du papier neuf, venant tout juste d'être déposé dans la boîte aux lettres, me procure une sensation de fraîcheur. Avec impatience, je déchire la colle encore fraîche du rabat de la lettre.
Monsieur,
Le Tribunal des Tutelles vous informe qu'il procédera à votre audition le :
Lundi 01 Juillet à 10h05
Je suis aux anges. J'ai attendu cette lettre pendant des mois. J'ai bien cru qu'elle n'arriverait jamais. J'ai souvent cru qu'elle arriverait, sans invitation à être entendu par le juge. J'ai cru que c'était cramé pour moi. Je peux encore penser avoir le droit de mériter une autre voie, un avenir meilleur.
Dans les escaliers pour monter à l'appart, j'ai directement appelé l'assistante sociale. Elle était super contente pour moi, mais un peu déçue que les épreuves du bac ne se soient pas passées comme prévu. N'empêche, à force, je l'aime bien finalement. Elle devient un peu comme une tante que je n'ai jamais eue. Maintenant que je m'en sépare presque, je me rends compte à quel point j'ai pu être dur parfois avec elle. En plus, elle va m'aider à préparer mon audition. Elle dit que c'est ça, le plus important. Montrer que tu sais ce que tu veux et montrer que tu as travaillé pour l'obtenir.
En rentrant, j'annonce vite la nouvelle à Téta qui m'embrasse tendrement. Je mange un sandwich vite fait puis je ressors. J'ai promis à Tim d'aller à la manif avec lui. Tous les lycées - enfin, les lycées publics - se mobilisent aujourd'hui. Nos profs seront aussi de la partie. Notre classe entière suit le mouvement. C'est les dernières manifs des profs avant les vacances. Ils ont attendu la fin du bac pour en faire une dernière afin que les élèves de terminale puissent y assister. Moi, en vérité, j'suis pas trop chaud d'y aller. Ces derniers temps, la police se montre de plus en plus brutale envers les manifestants. Pour moi, c'est pas une révélation. J'suis Arabe et j'ai grandi dans un quartier. Depuis petit je vois mes frères se faire insulter, moquer et tabasser. Ça m'est même arrivé. Leur violence, ça fait longtemps qu'on l'a intériorisée. Ce qui devient choquant c'est que maintenant, nous ne sommes plus les seules victimes. Tema, la dernière fois, ils ont caillassé des profs, des gens bien en place, blancs et avec un travail ! Ça, c'était encore du jamais vu. Alors, moi, avec ma sale race d'Arabe, j'peux bien aller me faire foutre. J'ai intérêt à pas trop me montrer en manif. Si des gens doivent prendre, ça sera forcément nous. J'sors plus beaucoup d'ailleurs. Je reste encore traumatisé de la gav. Je comprends pourquoi Zyed et Bouna ont couru.
Mon plan, c'est de rester vite fait avec Timothée - mais à l'arrière et bien sur le côté - puis de tailler au parc avec lui ensuite.
Si les manifs continuent, c'est parce que les réformes sur le bac et l'orientation sont encore en cours. La nouvelle plateforme a vu le jour et c'est encore pire qu'avant. Déjà, c'est n'importe quoi, parce qu'on a commencé à recevoir nos premiers résultats d'admission pile pendant les épreuves du bac. Comme si on n'avait pas autre chose à penser. Y en a qui ont carrément voulu arrêter de les passer parce que leurs premiers vœux ont été refusés. Ensuite, les profs suspectent que l'algorithme de la plateforme soit discriminant. Et c'est vrai. En même temps, c'est pas étonnant... Y en a qui sont encore sur listes d'attente alors qu'ils sont premiers de leur classe, tandis que d'autres, - blancs, bien évidemment -, ont déjà été acceptés dans les mêmes formations demandées alors qu'ils ont de moins bonnes notes. C'est n'imp. J'ai entendu dire que Hadda était dans ce cas. J'espère que ça passera pour elle in sha Allah. Moi aussi j'suis encore sur liste d'attente, mais dans mon cas c'est normal. On a que ce qu'on mérite. Mais c'est pas grave, parce que j'sais même pas encore si j'aurai mon bac. Finalement, j'ai candidaté pour des BTS. Métiers du son et Audiovisuel. J'ai rien trouvé d'autre que ça qui m'intéresse. En plus, j'peux faire des stages pendant les deux années de formation et travailler directement après. Ça serait le meilleur compromis pour moi.
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Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉE
Teen Fiction[Complète] C'est un soir qu'il est parti. Sans un mot. Sans un bruit. Le lendemain de son départ, Hadda trouve une lettre sur le bureau de son grand frère. Je ne reviendrai pas, a-t-il écrit. Mais Hadda refuse de se contenter de l'histoire officiell...