Il faut que je sache. Si proche de la vérité, je ne peux pas abandonner. L'identité de ce policier mystère s'éprend de toutes mes pensées. Et si c'était réellement le père de Demba ? Ça voudrait dire qu'il sait tout, depuis tout ce temps. Et qu'il n'a rien dit. C'est comme trahir ma famille. Et qu'est-ce que j'aurais fait, moi, à sa place ? La question ne se pose pas. Parce que je ne suis pas lui. Et que je n'aurais donc sûrement pas agi comme ça. Garder un secret aussi lourd, tout ça pour préserver le peu qu'il lui reste. Moi, on m'a appris à toujours donner pour les miens. Coûte que coûte.
Il faut que je sache, alors je suis repartie voir Binta. Je voulais déjà lui rendre de nouveau visite pour la remercier pour tous ses efforts et lui dire que j'ai utilisé son témoignage pour écrire cette nouvelle à laquelle j'ai eu une super note, une note que je n'avais pas vue depuis un moment. Et puis, je l'aime bien. Je l'admire. Avoir subi autant de choses mais daigner encore respirer le peu d'air qu'on lui offre. À sa place, je serais déjà morte.
Les infirmières m'ont remercié en arrivant. Elles m'ont dit qu'elles n'avaient jamais vu Binta aussi apaisée. Qu'elle a même pris part aux activités avec les autres patients. Je n'y suis pour rien, c'est elle-même qui s'est libérée. Dire, c'est déjà un peu guérir. C'est moi qui la remercie. J'ai le sentiment qu'ensemble, on y arrivera, à rétablir la justice. Qui l'aurait cru ? Deux jeunes filles, noire et arabe, main dans la main, abolissant l'injustice des hommes. Moi, j'y crois. Même si c'est difficile. Rien n'est encore gagné. Les vices ont au moins l'avantage de la ruse intelligente, du stratagème élaboré. Nous ne savons pas de quoi demain est fait, nous ne savons pas qui est prêt à frapper pour démonter notre petite révolution.
Là, assise à côté de Binta, sur son lit d'hôpital, je lui parle de mes meilleurs amis, de ma famille, des jumelles. Je lui dis que, bientôt, elle pourra tous les rencontrer. Que même, elle pourra peut-être prendre la chambre de mon frère, si elle le veut. Qu'elle ne soit plus livrée à elle-même face au gouffre de l'enfer. On se sourit, et ça me fait un bien fou. Renouer avec le monde, accepter les épreuves. C'est ce que j'apprends à faire, petit-à-petit, avec elle. J'en oublie même Hedi. J'en oublie même ma peine. Je ne pensais pas pouvoir prendre autant de distance avec celle-ci, avec mon chagrin d'amour, mon premier chagrin d'amour. C'est presque comme s'il n'avait jamais existé. Je m'étonne à trouver des forces inépuisables en moi. Je ne pensais pas pouvoir oublier Hedi. Je ne pensais pas pouvoir faire le deuil de cette idylle. Mon cœur était déjà mort, à vrai dire. J'avais déjà tout perdu. J'avais déjà perdu mon frère. J'avais appris à perdre ma mère. Au cas où. Qu'est-ce qu'on peut perdre de pire après sa propre chair ? Maintenant, j'ai l'impression de revivre, avec la sournoise culpabilité que je ne le mérite pas entièrement, que je devrais plutôt tâcher de partager l'agonie avec les miens. Ma mère m'avait prévenue. « Arrête d'être une éponge à sentiments ». « Arrête de toujours penser aux autres avant de penser à toi ». « Ne fais pas comme moi ». La vérité, c'est que j'ai l'impression qu'on m'a inculqué ça depuis le début. Tout déconstruire pour reconstruire des bases solides. Apprendre à revivre normalement pour enfin vivre pleinement. Je n'aurais jamais cru cet édifice si difficile à bâtir.
Là, aux côtés de Binta, je sais que je ne peux plus reculer. J'en sais déjà trop pour abdiquer. Alors, je me lance.
- Binta, tu sais, le policier dont tu m'as parlé... Est-ce que tu connais son nom ?
À cette question, son visage s'assombrit de la même manière qu'à mes premières questions, comme Awa, lorsque je lui avais demandé si elle connaissait Binta. Elle savait. Mais ne parlait toujours pas. Je ne la vois pas attraper le petit carnet à côté de son lit pour me répondre. Je la regarde juste fixer longuement sa couverture. J'ai peut-être fait remonter des souvenirs trop violents. Mais j'ai besoin de savoir, tu comprends. Je lui prends la main et m'excuse à nouveau. Je sais que c'est difficile pour toi, encore plus que pour moi... Mais Djazil...
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Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉE
Teen Fiction[Complète] C'est un soir qu'il est parti. Sans un mot. Sans un bruit. Le lendemain de son départ, Hadda trouve une lettre sur le bureau de son grand frère. Je ne reviendrai pas, a-t-il écrit. Mais Hadda refuse de se contenter de l'histoire officiell...