Plus jamais remonter

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Il avait les mots

M'a rendue accro

Le ciel pleure avec moi sur le chemin du retour. Les yeux rivés sur les flaques d'eau grisâtres et fangeuses, comme si mes pensées s'y étaient diluées, j'accélère le pas pour atteindre le plus rapidement possible la porte d'entrée de chez moi.

Je voyais déjà l'avenir dans ses bras

Mes larmes dansent avec la pluie sans que je ne les guide.

Il avait les mots

M'a rendue accro

Je ne savais pas qu'il était possible d'aimer, d'être aimé, et pourtant, de se sentir si confuse et délaissée.

Je ne savais pas que je ne le connaissais pas

Il avait les mots

Un courant d'air frais gifle mon oreille encore chaude de rage. Merde, mon écouteur a lâché, je me suis encore pris les pieds dans le tapis parce que personne n'est jamais foutu de bien le replacer dans cette maison. Tfou. Y'a même pas moyen d'écouter sa chanson triste pour déprimer tranquillement. Même quand tu veux juste pleurer, tu peux pas. Au moins, ça aura calmé mes tourments un moment, on ne sait jamais si quelqu'un est présent. La honte de rentrer en pleurant. Je crie « maman », pour savoir si quelqu'un est là. Pas de réponse. Je check mon portable pour consulter l'heure. 13h. Normalement, elle est là à cette heure-ci. J'étais tellement absorbée par mes pensées que je n'avais pas vu son message. « Ma Dada, je mange avec les tatas ce midi. Je vous ai fait un tajine de poulet aux olives. Ne m'attendez pas. À toute, bsx. » Au moins, je vais pouvoir pleurer autant que je le souhaite et m'affaler sous le plaid du canapé en me consolant avec l'un de mes plats préférés sans n'avoir aucun compte à rendre à personne.

Pas dans mon assiette. Finalement, je n'ai même pas envie de manger. Mon estomac entier est retourné, comme en harmonie avec mes pensées. Je pourrais juste aller dans mon lit, m'allonger, pleurer et finir par me réconforter avec une série. Mais je me connais, j'aurais faim dans quelques heures. C'est donc pesamment que je décide tout de même à me servir une assiette de tajine. Rien qu'en ouvrant la marmite, l'odeur des épices et des olives viennent me chatouiller les narines et apaiser mon esprit. La nourriture a toujours été réconfortante pour moi. Surtout celle de ma mère et de ma grand-mère. La douce et pétillante couleur du safran ravive toujours mon cœur par sa chaleur. Les couleurs des épices, mosaïque arc-en-ciel, colorent la morosité qui m'entoure. La déliciosité de leur cuisine me berce comme leurs câlins lorsque j'étais petite. Elle me rappelle aussi mes origines, les longs mois d'été passés à la maison en Algérie, à se transmettre entre mère et fille les recettes de nos ancêtres, assises dans la petite cour, sous le soleil, près des petites tortues de terre, à parler, rire et chanter dans nos gandouras colorées. La nourriture est sûrement notre langage d'amour le plus profond. Seule, face à mon assiette, les larmes coulent à flot. Parce qu'à chaque bouchée, je me rappelle aussi que, lorsqu'on nous cuisine un plat en particulier, c'est parce qu'on a pensé spécialement à nous, parce qu'on a aussi remarqué qu'on avait besoin de force. Physique et mentale. Parce que chacune de mes bouchées me rappelle que dans le chaos du monde, je suis aimée.

Je ne perds pas une miette de réconfort et termine mon assiette jusqu'à saucer mon assiette avec la fine et sableuse kesra, préparée par ma mère, qui s'effrite entre mes doigts. Jusqu'à lécher les derniers grains de semoule sur mes doigts. Plus aucune étincelle de sauce ne brille dans cette assiette redevenue grise. Je remercie Dieu, par habitude, d'avoir aussi bien mangé, et d'être aussi bien entourée.

Hedi. Je l'avais presque oublié. J'aimerais pouvoir l'effacer de ma mémoire parfois. Tout est si compliqué. Pour le moment, je n'ai ni envie de réfléchir à la situation, ni envie de terminer mes devoirs. Heureusement, il me reste la cuisine à ranger et les derniers linges de ce week-end à étendre, je n'avais pas encore eu le temps de m'y coller. Je me plains parfois de la charge mentale que c'est de devoir relayer sa mère atteinte d'un cancer alors qu'on est encore qu'une adolescente, mais, parfois, ça me permet aussi, contradictoirement, de m'évader. De trouver une occupation qui me distraie de mes autres devoirs. Et, on ne va pas se mentir, je trouve parfois un certain plaisir à tout ranger, tout nettoyer, tout effacer. Lorsque je frotte les tables, que j'aspire le sol, que je remplace les poubelles, je me défoule et pense beaucoup. Ça me canalise, en quelque sorte. Lorsque j'ai terminé, j'y vois parfois plus clair. Du moins, j'ai estompé ma haine, lorsque je suis dans un jour où cette charge ne me fait pas pleurer d'angoisse. Je ne sais pas comment font les mères.

Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant