Du rêve au cauchemar

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Ma grand-mère claque la porte en nous disant au revoir et sa voix referme toutes les portes s'étant ouvertes en moi il y a quelques secondes. Au moins, pas besoin de finir aux toilettes. Honteux, Hadda et moi baissons les yeux en attendant que l'un d'entre nous ouvre la bouche en premier, comme d'hab après un moment gênant. À présent, nous sommes seuls. Rien qu'elle et moi. C'est comme si Dieu nous testait.

- Du coup, tu vas faire comment pour la sœur de Demba ?

- J'sais pas encore... Faudrait que je l'attrape une fois quand j'vais chez Demba. Mais, premièrement, faut que j'aille chez Demba bientôt et deuxièmement, faut qu'elle soit chez elle également.

- Tu me rediras quoi t'façon, je lui réponds en lui caressant la joue. On y est presque, j'le sens.

- Bien sûr, me rassure-t-elle en recouvrant la mienne.

On retourne sagement travailler - cette fois-ci sur la table du salon plutôt que dans la chambre, histoire d'éloigner un minimum les insufflations du sheitan - en attendant que Téta revienne. La gêne d'il y a quelques instants s'est vite dissipée, et on a pu reprendre - entre deux exercices de français - nos barres de rire comme si rien ne s'était passé. J'aime ma complicité avec Hadda. Elle me fait sentir qu'on peut être à la fois les meilleurs amis du monde et les meilleurs amoureux, se taper une barre sur un truc dégueulasse sans que ça ne gêne personne puis finir le rire en se regardant tendrement. On s'est reconnus, j'en suis sûr. J'aime aussi sa façon si douce qu'elle a de m'expliquer le cours, sans jamais me prendre pour un idiot, là où beaucoup se sont souvent sentis pousser des ailes à croire qu'ils étaient supérieurs à moi parce qu'ils savaient reconnaître un chiasme ou un euphémisme dans une phrase. Ce qu'ils ne savent pas et qu'ils ne sauront probablement jamais, c'est que la véritable littérature, c'est Hadda. Hadda, c'est un poème à elle-seule. Tout est poésie chez elle. Sa voix, ses cheveux, son esprit. Et tant mieux si personne ne le sait. Hadda, c'est mon secret. Rien qu'à moi.

Au retour de Téta, nous nous installons autour du plateau en mosaïque pour prendre le le shaï, comme il est de coutume chez nous. C'est toujours un moment convivial. Chez Hadda aussi c'est comme ça, alors, on prépare le plateau à trois avec Téta. Ma grand-mère s'occupe de préparer le thé pendant qu'Hadda et moi sortons les verres dorés, les amandes, les cacahuètes et les pistaches. Par chance, il nous reste un peu de baklawas que Téta avait préparé pour l'anniversaire de la voisine. Hadda les dispose sur l'assiette aux dorures craquelées par le temps. Par réflexe, je sors le miel. Nos mains se frôlent, mes poils s'hérissent, le miel coule. Je nous imagine bien, tous les deux, plus tard, dans notre cuisine, préparer le shaï à nos invités. Elle, me disputant toujours parce que je suis trop lent et moi lui rappelant qu'on a le temps. Elle m'embrasserait et on rirait de nouveau. Soudain, Hadda attrape mon poignet, me faisant remarquer que le miel commence à un peu trop déborder des gâteaux. Je décale précieusement la cuillère pour éviter d'en mettre partout et devoir, une énième fois, nettoyer les gouttelettes de miel, gluantes et collantes, sur le plan de travail. Une fois terminé, nous apportons le goûter pour s'adonner à notre traditionnelle dégustation. J'aimerais pouvoir figer ce à jamais. Le mettre sur pause. Et le revivre en replay.

Il est déjà 17h. J'suis yomb. Hadda va devoir s'en aller pour récupérer les jumelles au centre. Il me faut profiter de ces derniers instants qui filent comme des millièmes de secondes, fondent comme des feuilles d'or sous mes yeux émerveillés. Hadda déverrouille son téléphone afin de consulter l'heure et me regarde désolée.

- Je vais devoir y aller... nous annonce-t-elle en se pinçant les lèvres.

À cet instant, ni elle ni moi ne réagissons, comme s'il on attendait un miracle du destin pour nous octroyer la chance de passer encore quelques heures ensemble. Face à notre déception, Téta avance :

Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant