La protestation des professeurs a déjà commencé. Hier, il y a eu un blocus et une poubelle bloque encore l'entrée du lycée, mais on arrive tout de même à passer le portillon pour se rendre en cours. Les banderoles, elles, n'ont pas été retirées.
« Non à la sélection ».
« Ensemble contre la sélection sociale ».
« J'ai mon bac, je choisis ma fac ».
Je ne me suis pas encore bien penchée sur le sujet mais, de ce que j'ai compris, la nouvelle plateforme de sélection s'appuie d'un algorithme pour nous sélectionner. Celui-ci collecte nos données, celles qui concernent notre identité, notre lieu de résidence, notre lycée de provenance... Et tout ça sert les facs et les écoles à nous choisir. On sait déjà qui ça dessert et qui ça privilège... Normal que nos profs s'insurgent. Bizarrement, les profs d'écoles privés, on ne les voit pas en manif, leurs élèves non plus d'ailleurs... En vérité, ça ne m'étonne même plus, tous ces trucs-là. Tout s'est empiré depuis les premiers attentats. Y a une fille de mon quartier qui s'est vue refuser son école d'avocat à l'oral parce que, askip, elle ne correspondait pas aux critères. Tu parles, la meuf a toujours obtenu ses diplômes mention très bien. C'est une star ici. Y a quelques temps, on n'avait même plus le droit de marcher en groupe dans nos propres rues ! Et v'la qu'on nous suit systématiquement dans chaque boutique lorsqu'on fait du lèche vitrine en ville. La dernière fois, Nina a carrément demandé au vigile s'il voulait faire ses courses avec nous. On a bien rigolé, malgré tout. Mais la vérité, c'est qu'on imagine le futur de ce pays sans une partie de sa population.
Devant le lycée, je scrute les alentours pour trouver Nina. Toujours pas là. Elle a repris ses bonnes habitudes on dirait ! Si elle ne vient pas, la journée risque d'être longue.
- Hadda ?
Je tressaille en entendant cette voix. Ce n'est pas celle de Nina, mais celle de Camille. Déjà agacée, je me retourne. On ne s'est pas échangé un seul mot depuis qu'elle est avec Hedi. Elle sait, je sais. Même si on fait toutes les deux bien semblant. C'est bizarre parce que, même si je lui en veux, je n'arrive pas à la boycotter pour de bon, ni même à être énervée contre elle. Dans le fond, la personne envers qui j'ai le plus de rancœur, c'est Hedi. Camille, elle a eu un comportement prévisible. Je n'imaginais juste pas qu'elle était capable de faire ça à une amie de longue date. C'est pas Nina, c'est vrai, mais on se connaît tout de même depuis la maternelle. Y a comme un pacte, normalement, avec ces personnes-là. On se sait. Y a pas d'embrouille, normalement, que de l'entraide, même si on sait qu'on finira par se perdre de vue après le lycée. C'est un peu comme les membres de ta famille. T'as pu passer énormément de temps avec eux à certains moments de ta vie, puis ne plus les voir pendant une longue période, au final, rien ne change, s'ils ont besoin, tu es là, ils sont là. En tout cas, c'est comme ça qu'on fait chez moi. Mais apparemment, c'est pas le cas de tout le monde.
- Je peux te parler ?
Je hausse les épaules en signe d'acquiescement. J'aurais aimé, en vérité, être de ces personnes qui arrive à clamer haut et fort le fond de leur pensée. J'aurais aimé, là tout de suite, dire à Camille que je ne veux pas l'écouter. Cependant, même lésée, une partie de moi ne peut s'empêcher de baisser l'échine, de continuer à se soucier d'instaurer un climat pacifié, comme si je ne méritais pas la dignité, comme si je ne méritais pas le respect. Non, moi, je crois encore qu'il faut s'en foutre des crasses qu'on me fait ou, du moins, ignorer. Je crois encore qu'on ne se fout pas de ma gueule et que je me fais simplement des idées. On m'a toujours dit de garder le bon soupçon mais, parfois, mon intuition me semble plus forte. J'aurais aimé lui dire d'aller se faire foutre, mais, au fond de moi, un feu immense brûle d'impatience de s'enflammer davantage, ou de s'éteindre, je ne sais pas trop bien. Je brûle d'envie que Camille s'excuse, qu'elle me conte comment tout cela est arrivé avec Hedi. Je meurs d'envie de connaître la vérité, toute la vérité, rien que la vérité. Je brûle d'envie d'avoir les cartes en main pour clore le passé.
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Amour chronique [J'écoute encore les étoiles chanter] - TERMINÉE
Genç Kurgu[Complète] C'est un soir qu'il est parti. Sans un mot. Sans un bruit. Le lendemain de son départ, Hadda trouve une lettre sur le bureau de son grand frère. Je ne reviendrai pas, a-t-il écrit. Mais Hadda refuse de se contenter de l'histoire officiell...