Aller, Véga, tu peux le faire.
Je me répète ce mantra en boucle alors que le dernier de mes collaborateurs prend place autour de la table de réunion.
— Bonjour à tous, je me lance.
Ils me répondent en choeur. Aucun d'eux ne fait de commentaire sur ma voix trop hésitante.
Tâchant de garder une contenance, je reprends sans attendre.
En tant que chef de projet, je constitue le lien entre notre client et l'équipe dont je suis responsable. Le client, M. Aloate, a contacté l'entreprise il y a un peu plus d'un mois : de fait, c'est Bruno qui avait commencé à travaillé sur son projet de logiciel, mais j'ai vite pris la main et c'est comme si je l'avais toujours eue.Le problème, avec M. Aloate, c'est qu'il est très indécis. Il ne sait pas vraiment ce qu'il veut, et même si je lui propose des tas de solutions pour pallier à ses besoins, il finit par les rejeter les unes après les autres.
Je doute sincèrement de mes compétences : si Bruno était encore là, il aurait réussi à le convaincre du meilleur projet en deux temps trois mouvements. Je ne comprends pas ce que je fais à la tête de cette équipe. Je n'aurais jamais dû être nommée à cette place.
Je crispe les orteils dans mes chaussures : ce geste simple et invisible de tous me permet de canaliser la tension qui parcourt mon corps. Et Dieu sait si je suis sous pression.
Je déteste ces réunions quotidiennes, où je dois prendre la parole devant tous et faire preuve de leadership et de sang-froid. Ce n'est pas mon rayon. Mais je fais comme je peux, me disant que de toute façon, quelqu'un finira bien par comprendre que je n'ai pas ma place ici, que je suis une menteuse, une imposture, une fausseté.
Je blablate, tâche de garder confiance face à tous les regards que portent sur moi mes collègues, mais je n'ai pas l'impression de leur expliquer quelque chose de bien concret. Toutefois, aucun d'eux ne fait de commentaire ; lorsque je clos la réunion après leur avoir confié quelques tâches en attendant d'avoir fixé l'objectif définitif de M. Aloate, ils se lèvent comme un seul homme et s'en vont, me souhaitant une bonne journée.
Je leur souris, puis, abattue, m'affaisse sur la première chaise qui me tombe sous la main. Qu'est-ce que je fais ici ?
Je sais que si Tom m'a promue, c'est qu'il croyait en moi, mais je ne vois pas comment lui donner raison. Je me sens si nulle.
Pourtant, je dois garder la tête haute : je me targue d'être une femme forte, alors quitte à jouer un rôle, autant y aller jusqu'au bout.
Crissant des dents et contractant mes muscles, je sors de la salle et me rends dans mon bureau. Je prends deux grandes respirations et me mets au boulot. J'enchaîne les mails avec Aloate, soupire moult fois, me prends à nouveau la tête sur le budget et les risques associés aux nouvelles propositions qui se présentent à moi ; je mange un sandwich sur le pouce pour le déjeuner, et me revoilà à bosser comme une acharnée jusqu'à 18h, heure de fermeture de la boîte.
J'ai toujours beaucoup travaillé : mon métier étant en premier lieu ma passion, cela m'a toujours paru normal, et même très épanouissant. Actuellement, m'échiner est plus une façon pour moi de me donner l'impression de réussir. Je me dis que si je bosse à fond, même si ce que je produis n'est pas concluant, j'aurais un maigre sentiment de réussite. C'est stupide, et irrationnel, mais depuis trois semaines, je n'ai plus vraiment l'impression d'être moi-même, de toute façon.
Je sauvegarde mes données, éteins l'ordi, et enfile mon manteau. Je compte continuer à travailler chez moi : j'ai enfin reçu mon processeur, ai réparé mon PC – nullement besoin de faire appel à un informaticien, je peux me débrouiller seule, merci – et conserve une copie de mes dossiers de boulot sur un disque dur afin de les exploiter même quand je suis chez moi.

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À la lettre près
RomanceQuand Virgile et Véga se rencontrent sur un palier d'escalier, c'est le coup de foudre. Chacun d'eux est, sans le savoir, troublé par la présence de l'autre, qui leur apparait comme parfait. Grand timide, Virgile n'ose faire le premier pas ; Véga, a...