38 - Virgile

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Véga n'est toujours pas là quand je pars pour la piscine. Elle ne répond pas à mes messages non plus ; ce silence m'inquiète.

Nous sommes censés partir de l'appart' ensemble pour aller nager, comme tous les mardis et samedis, mais elle n'est pas là. Tant pis. J'ai besoin de nager.

Mes yeux brûlent tant ils ont lâché de larmes, et ma tête me parait à la fois vide et trop pleine.

Sur le chemin, dans le bus, Oscar m'appelle.

— Yo, mec, ça farte ? il me lance à travers le combiné.

— Nickel, et toi ? Pas trop fatiguant, le bus, les marmots, tout ça ?

Je veille à ce que ma voix reste la plus normale possible. Il ne doit pas s'inquiéter, pas pour si peu. Il connait ma mère – normal, on se connait depuis qu'on est gosses – mais je ne lui ai pas non plus narré toute l'étendue de mes malheurs d'enfant. Et je ne compte pas lui dire que ma génitrice m'a payé une visite tout à l'heure non plus.

— C'est sympa, ici, j'adore ! On est arrivés dans l'après-midi, histoire de faire une visite rapide, et là on est posés à l'hôtel.

— Génial !

Il me raconte un peu ce qu'il a fait, enthousiaste ; je ne l'écoute que d'une oreille. Notre appel ne dure que quelques minutes, et j'arrive vite à la piscine.

— Je vais te laisser, vieux, je vais nager.

— Super, fais des bisous à Véga de ma part. Et faites pas de cochonneries pendant que je suis pas là, hein ! il s'exclame.

— On va se gêner ! je le nargue.

Il me raccroche au nez, et je ricane.

Sitôt la tête dans l'eau, mes réflexions s'apaisent.

J'enchaine les longueurs, plonge, respire, recommence. Les muscles endoloris et la tête en meilleur état, je ressors satisfait.

Mais quand je tombe sur le répondeur de Véga, mon angoisse remonte en flèche. Ce n'est pas son genre de ne pas me répondre.

Je m'arrête à la petite église dans laquelle j'ai l'habitude de me rendre régulièrement. Je ne m'y étais pas pointé depuis une ou deux semaines ; j'ai besoin de profiter de cette ambiance, de ce calme.

Je fais mon signe de croix, prends place sur un banc au milieu de la salle, et lève les yeux pour observer les vitraux et l'autel.

Je pense à Véga. Mon mensonge énorme.

À ma mère. Ma souffrance en sourdine. Mon comportement face à elle.

Est-ce mal de n'avoir rien ressentir du tout face à son annonce ? De ne toujours rien ressentir ? Est-ce mal de réaliser que la souffrance qu'elle m'a infligé petit m'a tant marqué que désormais, je ne me préoccupe pas d'elle ? Que sa peine à elle ne m'atteint pas ?

Passer du temps dans l'église ne m'aide pas, cette fois. La sonnerie de mon portable retentit au moment où je me lève ; je m'empresse donc de sortir, et décroche les mains tremblantes en lisant le nom de l'interlocuteur :

— Allo, Véga ? T'es où ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Virgile, tout va bien, me répond-elle. J'ai dû passer chez le médecin et le pharmacien, mais je rentre.

— Aussi tard ? Et t'es au courant que « tout va bien » et « médecin » vont pas vraiment ensemble, rassure-moi ? je tente d'ironiser – mais ma voix tremblante me trahit.

— Je te jure, ça va. Rien de grave.

Je grimpe dans le bus alors qu'elle m'explique.

— Je me suis claquée une entorse de la cheville en sortant de l'immeuble au boulot, je me suis pris les pieds dans un trou du trottoir, et mon pied s'est retourné. Du coup, Ophélie m'a accompagné chez le docteur, où j'ai réussi à avoir le dernier créneau, et il m'a donné une prescription d'une attelle et d'anti-douleurs que je suis allée chercher juste avant la fermeture. Ophélie m'a aidée à la mettre et elle m'accompagne à la maison, là. Et je peux marcher, donc aucun souci à se faire.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant