Prologue

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Ce qui est drôle, avec les êtres humains, c'est que peu importe à quel point tu peux les connaître, peu importe combien tu penses en être proche, ils ont toujours la possibilité de te démontrer le contraire.

C'est bien pour cela que je préfère les machines. Elles, au moins, sont loyales, franches, vraies. Elles n'ont pas la possibilité de nous planter un couteau dans le dos, de nous blesser avec leurs mots ou leurs actions, sont incapables de nous trahir.

Ce qui est drôle aussi, c'est que nous avions tous les deux peur. Peur que nos secrets soient dévoilés à l'autre, peur d'être abandonnés, peur d'être celui qui gâcherait tout.

Et au final, nous avons tous les deux été surpris. Parce que nous étions deux petits cachottiers. Deux jolis menteurs qui se sont joués de l'autre, un peu trop, et qui au final se sont trompés eux-mêmes. Nous avons cru pouvoir vivre dans un déni niais, mais la vile vérité nous a rattrapés en deux enjambées et nous a mis à terre.

Il m'a menti. Je lui ai menti.

Nous nous sommes cachés des choses, sciemment ; mais je ne pensais pas que le moment où tout exploserait serait aussi violent, ni que la peine de le voir s'en aller serait aussi forte.

Même si je parais froide, je suis quelqu'un d'assez comique quand on apprend à me connaître. Sauf que là, je n'ai pas envie de rire. L'ironie de ma vie me saute aux yeux, qui ne peuvent plus que pleurer, tandis que le regret sautille gaiment en face de moi. Il me fait un pied-de-nez. Je grimace. Mon cœur saigne.

Un sang rose bonbon s'écoule de mes veines jusqu'au sol dans un plic ploc incessant ; il s'évapore, remonte sous mes paupières, trace son chemin sur mes joues.

Je me sens vide, oh non, je ne sens rien, rien du tout, puis je ressens trop, tout, et, et je crois que j'implose.

Les confettis se répandent au sol dans un joyeux fouilli ; on dirait une oeuvre d'art, mais personne ne s'arrête pour la prendre en photo. Je fais trop pitié.

J'aimerais être une machine, dans un monde de machines. J'en serais bien plus heureuse.

Si j'en étais vraiment une, je serais un robot-aspirateur, qui viendrait ramasser ces miettes de moi. Si j'étais faite de plastique et de fer, je n'aurais pas si mal.

Fumer tue. Tuer tue. Aimer ? Ça blesse. Mentir ? Ça détruit.

Je suis encore en vie. Je ne veux pas mourir. Non, non. Cela serait inutile.

Apparemment, les âmes sont immortelles. Si je mourais, la mienne errerait dans les rues aux pavés humides, chercherait une bonne raison de ne pas se lamenter.

Alors non, je ne veux pas mourir. Je voudrais juste cesser d'exister. Juste comme ça.

Parce que je souffre. Que je ne sais pas comment le gérer.

Parce que je l'ai fait souffrir. Et que cette idée me révulse encore plus que la précédente.

Parce que j'ai cru bien faire, j'ai cru l'aimer, j'ai cru et cru et au final, j'ai perdu.

Peut-être que si nous avions été honnêtes dès le début, nous aurions pu nous entendre. Mais cela reste une hypothèse que nul ne pourra démontrer. Je ne souhaite pas penser à ce qui aurait pu advenir de nous sans tous ces secrets. Je n'ai pas envie de me bercer d'illusions, de fantasmer un idéal, de plonger dans une si douce rêverie sans fin.

Je reste les pieds accrochés à la Terre, et la tête droite sur mes épaules. Je laisse mes larmes couler, mon cœur se déchirer.

Et je crois apercevoir, là-bas dans le ciel gris, quelques lettres voleter.

La pluie les réduit en miettes.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant