54 - Virgile

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Oscar sirote son café ; grognon, je le salue à peine en me dirigeant vers la machine.

— J'ai parlé avec Véga, hier, lâche-t-il le plus calmement du monde.

Je le fusille du regard. Je n'ai pas ma dose de caféine, et me suis levé du mauvais pied – ça arrive ; me faire ce genre de blagues n'est pas bienvenu.

— Je suis sérieux. Au bar.

— Au bar ? je m'étonne. Qu'est-ce que Véga faisait dans un bar ?

Elle fait bien ce qu'elle veut, mais ça me surprend d'elle.

Oscar hausse les épaules.

— Elle était avec ses collègues de la dernière fois. Je me suis incrusté. On s'est bien marré, c'était sympa.

Jalousie, quand tu nous tient.

Véga a parlé à Oscar. Ils ont ri ensemble. Ça veut dire qu'elle lui a pardonné son implication dans les lettres ? J'aimerais qu'elle me parle, à moi aussi. J'en brûle d'envie, mais je laisse les chose suivre leur cours pour autant.

Aussi, décidant de rester sage et mature, je réponds :

— D'accord. Tant mieux pour toi.

Son sourcil s'arque si haut que c'en est comique. J'attrape ma tasse, et le coupe avant qu'il n'ouvre la bouche :

— Vraiment, je suis content si vous êtes de nouveau en bons termes. C'est une bonne chose.

J'essaye d'insuffler un maximum de conviction dans ma voix. Je prie pour que ce soit crédible.

*

Tout vient à point qui sait attendre, dit-on. C'est pour ça que je ne presse pas Véga.

Nous nous croisons une ou deux fois en coup de vent dans l'immeuble ; à chaque fois, je lui souris, la salue, mais ne discute pas plus. Je ne veux pas commettre l'erreur de venir vers elle trop vite et de précipiter les choses. C'est à elle de venir vers moi lorsqu'elle sera prête, lorsqu'elle le voudra bien. Si elle le veut bien.

Je m'efforce de trouver des objets, des petites choses, des délicates attentions, pour lui montrer que je suis là, que je pense à elle, que je ne l'oublie pas. C'est difficile de le faire lorsque le destinataire ne souhaite pas discuter de vive voix, ni nous toucher, et encore plus dur quand on ne peut pas écrire. Mais je me débrouille. Je fais de mon mieux.

Elle doit avoir un énorme bouquet de fausses fleurs désormais. Si elle ne les a pas jetées, cela va sans dire.

Dimanche, je fignole les détails du projet que j'ai en tête depuis ma décision de tout réparer. Cela ne suffira peut-être pas totalement, mais j'espère que ça la touchera au moins un peu que cela m'émeut moi.

Je ne sais toujours pas si elle a visionné ce que j'ai mis dans la clé. Prudente comme elle est, il est possible qu'elle l'ait jetée directement, de peur qu'elle contienne un virus.

Mais s'il le faut, je serais prêt à redonner ce discours devant elle. J'en suis capable. Je l'ai dit, je suis prêt à tout pour lui faire comprendre que c'est elle, moi, et personne d'autre.

La moindre phrase que j'ai prononcée en me filmant reste gravée dans ma mémoire comme les dorures sur du marbre.

« Coucou, Véga, c'est moi. Enfin, tu sais que c'est moi, parce que tu me vois, mais... Oh, tais-toi, Virgile. Quand je te dis que je ne suis pas très bon à l'oral, c'est pour ça. »

Je me suis senti très con, à ce moment. Je me suis senti con pendant toute la durée de mon monologue, en fait. Je n'étais pas à l'aise, transpirais de gêne et d'inconfort. Mais c'était pour la bonne cause.

« J'avais envie de te parler. Je n'arrive pas à écrire, alors j'ai trouvé une autre solution. Elle est moins efficace, mais au moins, elle est vraie. Tu n'as jamais rencontré de faux Virgile, tu sais. Même si c'est l'impression que tu en as eu, ça n'a jamais été le cas. Je m'étais juste caché, mis dans l'ombre de quelqu'un que je trouvais plus talentueux. J'avais peur que tu ne m'aimes pas pour ce que j'étais. J'avais peur que tu me juges, et je sais maintenant que c'était stupide, parce que tu n'es pas du genre à vouloir juger qui que ce soit.

« Je pensais que pour te séduire, toi, la merveilleuse Véga, la sublime voisine du deuxième, je devais trouver des trésors d'inventivité, des moyens extraordinaires. Je pensais que je n'étais pas assez doué pour te plaire, parce que tu n'étais pas n'importe quelle femme – tu es celle pour qui j'ai craqué au premier regard, celle pour qui je serais prêt à décrocher la Lune et tomber dans le Nether à l'infini. »

Le plus dur, c'était de m'admettre tout ça à moi. D'en prendre conscience, de le comprendre, de l'assumer. J'ai eu du mal à le formuler à l'oral, je ne sais plus si tout était bien clair. En revanche, je crois avoir été un peu cucul.

« Quand on n'était que tous les deux, sur le canapé, j'étais moi. J'étais un peu timide, un peu froid, parce qu'on ne se connaissait pas. Je ne savais pas comment agir. Te confier que j'avais eu un coup de foudre pour toi ne me semblait pas être la meilleure tactique d'approche, tu vois. J'ai fait comme j'ai pu, sûrement quelques maladresses. Une fois ma carapace tombée, et la tienne avec, c'était vraiment moi, tout du long.

« Quand j'étais avec toi, Véga, c'était comme si toutes les étoiles du ciel s'allumaient d'un coup, et que tu étais la plus brillante d'entre elles. C'était comme si mon monde s'éclairait, se réchauffait. Être avec toi, en étant vraiment moi, c'était des instants de libération et de paix intérieure. Tout ce que je te disais, tout ce que je faisais, c'était du vrai Virgile. Je n'ai rien gommé, plus rien masqué. »

Parler face à son portable, c'est difficile. Mais d'un autre côté, comme si j'étais vraiment seul face à moi-même, j'ai trouvé plutôt aisé de me confier. Plus je parlais, plus les mots venaient.

« Je t'ai menti, sauf qu'en faisant ça j'étais surtout effrayé d'affronter mes propres peurs et insécurités. Tu m'as fait me sentir comme le roi du monde, et je pensais être un bon à rien. Mais je me rends compte désormais que ce n'est pas le cas. Je prie pour te plaire encore, parvenir à te séduire à nouveau.

« Alors voilà. J'espère juste que le Virgile que je suis sera assez bien. »

Au travers de mon écran, j'avais l'impression de voir Véga. Je l'imaginais me fixer sans un mot. J'ai fait de même quelques secondes, je crois, avant de me réveiller de ma torpeur et d'éteindre l'enregistrement.

Je ne m'étais jamais confié de la sorte, mais ça m'a fait du bien.

*

Lundi matin, je me lève tôt pour déposer le carton devant la porte de Véga, afin qu'elle tombe dessus avant d'aller bosser de son côté. Je suis incapable de me rendormir après, et tourne dans ma chambre jusqu'à en avoir le tournis.

Quand je descends de nouveau, la boîte a disparu. J'y pense toute la journée, me demandant si elle a aimé, si cela atteindra son but, si Véga me pardonnera enfin.

Le lendemain, rien ne se passe.

Mais le 14 juin, je reçois un message de sa part.

La voix froide et robotique de l'assistant vocal résonne alors qu'il le lit :

« Apparemment, c'est encore valable, alors bon anniversaire, Virgile ».

Je souris bêtement, allongé sur mon lit. Je me dis que ça y est, j'ai tout gagné.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant