PARTIE I - CORPS / 1 - Virgile - Tonnerre

464 51 14
                                    


— Sérieux, mec, t'as mis quoi là-dedans ?

— Mes affaires de toilette, mon rasoir, mon épilateur à lumière pulsée, et puis d'autres trucs.

Oscar ouvre de grands yeux.

— Tu t'épiles ?

Je hausse les épaules – je n'aurais pas dû, car ce mouvement provoque une crampe dans mes bras déjà douloureux à cause du poids du carton – et réponds tout en veillant à ne pas me prendre le pas de la porte :

— Oui. L'aérodynamisme, ça te dit quelque chose ?

— Non. Qu'est-ce qui m'a pris de bien vouloir emménager avec toi, sérieux ? implore mon meilleur ami en lançant un regard désespéré en direction du ciel.

— Je me pose la même question, figure-toi, je rétorque malgré mon souffle court.

Aucun de nous ne pense ce qu'il dit. Cela fait des mois que nous parlons d'emménager ensemble, et ce jour est enfin arrivé. Nos vingt-six ans nous font paraître comme trop vieux pour être des amis colocataires, mais ni lui ni moi ne souhaitions vivre seuls plus longtemps. Quand le bail de mon premier studio s'est résilié et que Oscar s'est disputé avec son ancienne propriétaire au point de se faire virer de l'immeuble, nous n'avons pas réfléchi et nous sommes cherchés un petit cocon où vivre entre potes.

Coup de pot, ce charmant appartement venait de se libérer : nous avons signé le contrat, et nous voilà, en train de nous installer, par ce dimanche pluvieux de janvier. Pas de neige pour nous lillois ; cela semble désormais réservé aux vikings finlandais et aux pingouins de la banquise, à mon grand désespoir. Foutu réchauffement climatique.

Oscar souffle si fort en posant le carton sur le sol que je ne peux m'empêcher de me foutre de lui :

— Alors, professeur, on a du mal avec l'effort physique ? Tu devrais te bouger, un peu, la sédentarité ne fait de bien à personne.

Il me fait un doigt d'honneur en ressortant sur le palier, et me lance :

— Ta gueule, Nemo. Je suis en pleine forme. Rien ne m'arrête. Je suis Iron Man.

Sur ces paroles, il entre dans l'ascenseur et sans attendre, presse le bouton du rez-de-chaussée. Enfoiré.

Il doit nous rester quelques cartons à monter, et je sais que tous ne passeront pas dans l'ascenseur, alors je prends mon courage à deux mains et entreprends la descente des quarante-cinq marches et demi – la première est si petite qu'elle ne compte presque pas – séparant mon nouvel appartement du sol.

Je retrouve Oscar en bas, nous entassons le maximum de paquets et de sacs dans l'élévateur, et, juste pour me faire chier, mon ami se précipite dedans et me laisse le loisir de remonter ces marches, avec la dernière boite en prime.

Oscar est un vrai gamin, quand il s'y met, mais c'est ce qui le rend si attachant. Son côté boute-en-train lui permet d'attirer les filles comme des mouches, tandis que c'est plutôt mon apparence de grand brun ténébreux qui séduit la gent féminine.

Pourtant, je ne suis pas si grand, plus châtain que brun, et certainement pas ténébreux ; je suis juste incapable de draguer, et suis un individu plutôt timide, ce qui peut à certains égards me donner l'air mystérieux bien que ce ne soit pas volontaire.

Cependant, cela ne m'empêche pas d'avoir quelques histoires sans lendemain, bien entendu – mes rares plans d'un soir ne cherchent pas de beau parleur, seulement d'un bon coup, ce qui m'arrange.

Je m'empare du carton, et remonte petit-à-petit en contrôlant mon souffle. La natation me garantit une très bonne capacité respiratoire, certes, mais mon entrainement d'hier m'a mis à plat et je ne suis pas en pleine possession de mes capacités.

C'est pour cette raison qu'arrivé sur le palier du deuxième, je pose le carton et agite mes bras engourdis dans l'air tout en faisant quelques squats. J'ai l'air d'un débile, mais je m'en fiche, parce que personne ne peut me voir.

— Bonjour ?

Je n'ai rien dit.

Pris sur le fait, je pivote sur mes pieds et percute un regard intrigué caché sous des immenses lunettes noires.

— Vous êtes le livreur ?

Je cligne des yeux, bouche bée. Qui est donc la sublime créature se trouvant sous mes yeux ?
Petite, surmontée d'une crinière brune aux reflets acajou, vêtue d'un épais pull framboise la faisant presque disparaître, la jeune femme qui vient d'ouvrir sa porte est une véritable vision de bonheur envoyée par le Saint-Esprit.

— Est-ce que vous êtes le livreur ? répète-t-elle, m'arrachant à ma torpeur.

Toujours sans voix, je secoue la tête.

Elle me ferme sa porte au nez sans rien ajouter, et s'en retourne chez elle.

Je reste planté là quelques secondes avant de me reprendre. Je remonte au pas de course, et ne prête même pas attention à ce qu'Oscar me raconte alors que nous commençons à déballer nos affaires, trop obnubilé par le visage hantant mes pensées.

Je crois que la foudre m'a frappé. 

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant