La phrase s'échappe de mes lèvres sans que je lui en donne au préalable l'autorisation. Je ne sais pas ce qui m'a pris de sortir ça.
Je suis complètement dévergondé, ce soir. Je suis passé de timide et renfermé à bavard et moqueur en quelques minutes, et ce changement de comportement soudain m'effraie.
On dirait presque que je suis à l'aise en sa présence, ce qui n'est pas le cas. Elle m'intimide toujours autant. Comment ne le pourrait-elle pas ?
Ses yeux me transpercent à travers ses verres propres, et malgré sa petite taille – qu'elle a rehaussée avec des chaussures que je trouve sublimes –, elle en impose.
Même si nous venons de tenir une vraie conversation, nous ne sommes pas amis pour autant.
Nous ne sommes que deux voisins, quasiment des inconnus, et mes sentiments contradictoires à son égard n'y changent rien.
Je n'aurais pas dû lui proposer de rester. Je ne sais même pas pourquoi je l'ai fait, d'ailleurs. Je n'ai pas réfléchi. Mon cerveau est en panne.
Enfin, cela dépend pour quoi : pour me faire réfléchir avant de parler, il n'y a personne, en revanche, pour ce qui est de provoquer tous mes désagréables frémissements intérieurs, mon encéphale est bien opérationnel.
Le regard de Véga s'accroche au mien, impénétrable, percutant ; ses tons bruns pourraient lui conférer une certaine chaleur, mais la lueur d'indifférence qui les anime provoque plutôt le contraire. J'ai envie de m'enfuir, de me soustraire à la vue de ces prunelles plus que perturbantes.
En plus, ce n'est pas comme si j'avais autre chose à faire de ma soirée.
Je devrais probablement continuer mes recherches de matériaux – je suis un véritable bourreau de travail, mais j'aime ça – ou bien terminer le livre passionnant que j'ai débuté hier. C'est en effet ce que je devrais faire. Ce que je vais faire.
J'ouvre la bouche pour me reprendre, et lui dire de laisser tomber, mais elle me devance :
— D'accord.
Elle me prend de court, et je reste au moins cinq secondes les lèvres entrouvertes, à la manière d'un maquereau hors de l'eau, avant de me ressaisir.
— D'accord.
Bien joué, Virgile. Aie l'air encore plus con, pour voir ?
— Je... j'ai... je bégaye comme un idiot, on a pas mal de jeux dans le meuble, tu peux regarder.
Je ne sais dire si son demi sourire montre qu'elle est mal à l'aise ou ravie. Elle semble être aussi compétente que moi pour manifester ses états d'esprit, c'est à dire pas douée du tout. Enfin, je ne la connais pas, mais je suppose.
— Tu veux que je commande un truc ? je lui propose ensuite, le manuel des bonnes manières se rappelant à ma mémoire.
Regardant le contenu de nos jeux, Véga se retourne vers moi et hoche la tête.
— Oui, ce serait avec plaisir.
— Quelque chose en particulier ?
— Je ne suis pas difficile, prends ce qui te fait plaisir.
Pizza fait trop soirées entre potes, mais je ne vais pas me mettre à cuisiner moi-même ou commander à un restaurant super chic.
Et puis, je doute que Véga soit du genre étoilé Michelin. Non pas qu'elle ne soit pas assez classe pour, cela n'a rien à voir. Mon instinct me le chuchote, c'est tout.
Je tranche donc en faveur du resto en bas de la rue dont les plats – bien que simples – sont à tomber.
Dix secondes plus tard, nous nous emparons d'une manette chacun et nous asseyons sur le canapé de cuir.
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À la lettre près
RomansaQuand Virgile et Véga se rencontrent sur un palier d'escalier, c'est le coup de foudre. Chacun d'eux est, sans le savoir, troublé par la présence de l'autre, qui leur apparait comme parfait. Grand timide, Virgile n'ose faire le premier pas ; Véga, a...