20 - Virgile

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Ce doit être la douzième fois au moins que je louche sur l'enveloppe posée sur le coin droit de mon bureau.

Depuis que je l'ai récupérée tout à l'heure en revenant des courses, elle m'attire irrémédiablement et m'empêche de me concentrer sur le nouveau plan que je m'échine à dessiner.

Je sais de qui elle provient. J'ai un peu galéré à déchiffrer le « Au poète » inscrit à l'encre fine au dos de l'enveloppe, mais je suis persuadé que Véga en est l'expéditrice. Qui pourrait-ce être d'autre ?

Fébrile, je contiens mon impatience. Je dois attendre Oscar, pris par une réunion pédagogique de dernière minute, pour ouvrir cette lettre surprise. J'ai besoin de lui pour la déchiffrer, et je ne tiens plus en place.

Aussi, dès que j'entends notre porte s'ouvrir, je bondis de ma chaise et lui saute dessus.

— Oh, calme-toi ! Je sais que t'es content de me voir, mais abuse pas ! me tance-t-il.

— Regarde ça, je l'agresse presque en lui tendant la lettre.

Il la saisit en haussant un sourcil, et son regard est de suite traversé d'une lueur de stupeur.

— C'est quoi ?

— À ton avis ? je réponds, sarcastique.

Il me la rend, retire son manteau et ses pompes, et je trépigne comme un gosse de cinq piges trop impatient d'ouvrir son cadeau de Noël alors que nous nous installons dans le salon.

— Ouvre-là, m'ordonne-t-il.

— Elle t'est adressée, je lui fais remarquer, non sans que mon cœur se pince.

— Fais pas chier, rétorque-t-il. Ouvre.

Je pouffe, crispé ; le vrai poète, c'est lui, mais l'amoureux, c'est moi. Je commence à confondre nos rôles, nos intentions, et ce n'est pas bon du tout.

Ma main tremble à peine tandis que je déchire avec précaution l'enveloppe brune. Elle est à l'image de Véga : simple, raffinée.

J'en sors un papier A4 où s'enchaînent des mots qui, ainsi, me font tourner la tête. Trop de lettres. Même si la brune écrit bien, je trouve, je suis incapable de saisir la teneur de ses paroles à première vue. Je serre la mâchoire, frustré. C'était sûr, mais cela me fait tout de même mal, de devoir passer par Oscar.

Je lui tends donc le papier, qu'il parcourt des yeux en vitesse. Impatient, je lui lance :

— Fais partager, pour voir ?

Il me lance une oeillade et un rictus, et commence sa lecture.

« Bonjour. Cela fait bizarre de dire bonjour à quelqu'un qu'on ne connait pas – peut-être aurais-je dû mettre bonsoir, aussi ? – qui plus est sur une lettre, mais je suis quelqu'un de poli, et puis, une lettre, c'est un peu comme un mail, mais sur du papier. »

Oscar ricane.

— Elle est garnie, elle.

Elle me fait déjà rire. Je la trouve adorable, incroyable, et ce n'est que la première phrase.

« Je ne sais pas trop pourquoi je vous réponds ; je me dis qu'au bout de trois lettres, il serait temps que je vous écrive, moi aussi. Je ne sais pas non plus si je dois dire « vous » ou « tu », mais ça n'a pas d'importance. Ce qui est important, c'est de savoir qui vous êtes. QUI ÊTES -VOUS ? » Elle a écrit en majuscules, Oscar me précise.

Je pouffe, mais c'est nerveux. Oui, ses mots sont drôles, mais au-delà de ça, un ramassis d'émotions tournoyantes s'abat sur moi et je ne sais que penser, comment réfléchir.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant