36 - Virgile

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N'oublie pas de vers. N'oublie pas de mots. Articule bien. Fais attention.

Je m'assène ces phrases sans relâche en descendant du bus, espérant que cela m'aidera à ne pas me ridiculiser devant Véga.

Il est vingt-deux heures passées, la nuit est calme, et nous entrons dans le jardin public éclairé main dans la main alors que je continue ces directives mentales.

N'oublie rien. Fais attention. Sois poétique. Sois romantique. Fais un effort.

Nous avançons côte à côte, sa paume dans la mienne ; nous semblons être les seuls en ce lieu.

La verdure et les quelques fleurs pointant le bout de leurs pétales ? le printemps débutant ; le gravier crisse sous nos pieds, les bruits de voitures résonnent au loin.

Sans échanger un mot, nous marchons, doucement.

Je venais souvent ici avec mon père, pour me dégourdir les jambes. Y être avec Véga me replonge dans ces souvenirs heureux.

Puis, je m'arrête, au beau milieu du sentier ; Véga m'imite. Je me tourne vers elle, baisse la tête pour croiser son regard intrigué.

J'avance ma main vers son visage, et retire une mèche de cheveux de sa pince.

Une mèche s'échappe – de ta chevelure.

Ses yeux s'écarquillent.

Je la hume et l'attrape ; douce torture.

Je mime le geste, porte sa mèche à mon nez, avant de la replacer derrière son oreille.

De la buée s'échappe d'entre mes lèvres au fil de mes mots, et un sourire émerveillé s'étale sur les lèvres de Véga.

N'oublie rien, n'oublie rien, n'oublie rien.

Ton ombre se détache sur un pan de mur, continué-je dans un souffle, mes yeux rivés à ceux de Véga. Je te suis tu te caches...

Putain.

Dans un murmure.

Le souffle de Véga s'élève aussi, l'étau autour de mon cœur se desserre un peu – rien qu'un peu.

Je m'approche encore d'elle ; nos pointes de pieds se touchent. Je passe un bras autour d'elle, l'attirant vers moi. J'ai besoin de la sentir proche.

Tu dis que je te flatte, avec ces mots purs...

Ma voix s'élève à peine plus fort que la brise qui commence à souffler dans les feuilles des arbustes.

Je glisse mon visage dans le cou de Véga, remonte juste à son oreille, pour murmurer :

Si tant est que je rate...

Sa voix joint la mienne sur le dernier vers.

Rien n'est plus sûr.

J'embrasse sa mâchoire, sa joue, croise ses yeux. Je crois y distinguer des larmes.

— Tu pleures ? je chuchote, désemparé.

Elle pleure pour un putain de mensonge.

— Merci, elle souffle. Merci beaucoup.

Elle détourne le regard, cligne des yeux, et une larme se détache de sa paupière pour rouler sur sa joue.

Je prends son menton entre mes doigts pour attraper son regard, et essuie sa larme de mon pouce.

Ses joues sont rouges, mon dégoût de ma personne à son maximum.

J'ai réussi à tout recracher par cœur, oui ; mais ce n'en sont pas plus mes mots.

Je me répugne. Véga ne mérite pas quelqu'un comme moi.

— C'était si beau, continue-t-elle. Merci infiniment, Virgile. Tu n'imagines pas à quel point ça me fait du bien. Te lire, c'était déjà fort, mais là...

Sa voix se brise, un nouveau pleur s'échappe, et c'est ce moment que je choisis pour l'embrasser avec fièvre.

Nos lèvres se rencontrent et je me sens comme un voleur qui lui arrache son cœur, ses pleurs, sa confiance et son âme.

Je ne peux m'approcher d'elle autant que je le voudrais à cause de nos manteaux, mais peut-être est-ce pour le mieux. Si je m'approchais trop, je pourrais la briser, si ce n'est de mes mains, avec la vérité qui court sur le bout de ma langue – de la sienne maintenant.

Nous nous embrassons encore et encore, sans nous soucier de rien. Le sel de ses larmes gagne nos bouches, ma main se perd dans ses cheveux.

Nous nous embrassons sous le clair de lune, et j'espère qu'elle ne chuchotera pas à Véga cette nuit que je suis un menteur.

*

Une semaine que nous sommes sortis à quatre. Une semaine depuis notre balade dans le parc. Une semaine que j'ai déclamé les poèmes d'oscar à Véga. Une semaine qu'elle me regarde avec des étoiles dans les yeux, et que j'ai de plus en plus de mal à le supporter. Il ne faut pas qu'elle sache, car elle m'en voudrait trop et je la perdrai, mais je me sens perdre pied.

Elle m'a remercié encore et encore ; je ne la savais pas aussi sensible, mais en réalité, ça ne m'étonne pas. Je lui vends du rêve, un fichu mirage, et elle en redemande car ne s'aperçoit pas de la pourriture derrière. Ça me les brise – ça me brise tout court.

Nous sommes rentrés, avons dormi dans mon lit, mais je n'ai pas beaucoup dormi à cause de tous ces remords. Sur le chemin du retour, elle s'est étonnée de me voir avoir appris la lettre par cœur, mais que c'était d'autant plus beau. J'ai souri.

En réalité, c'était ma seule option.

Oscar m'a appris à les réciter, un soir ; je répétais les phrases après lui, et à force, c'est rentré.

J'aurais été bien incapable de les lire devant elle, même en admettant que j'aurais imprimé ces mots à partir de mon logiciel.

J'aurais eu l'air d'un incapable. J'ai dit mille fois merci à mon meilleur ami, qui mérite vraiment son titre ; il me paraît un peu absent ces derniers jours, mais ce doit être à cause d'Ophélie, qui semble lui avoir vraiment retourné le cerveau.

Ou bien était-il distrait et préoccupé par son voyage de classe, auquel il est parti tôt ce matin ? En même temps, il faut le comprendre ; gérer trente bambins ne doit pas être de tout repos.

Je suis donc seul à l'appartement ; Véga travaille, et me rejoindra ce soir avant qu'on aille nager.

Nous n'avons rien fait de plus, sexuellement parlant. Je ne m'en sentais pas capable. Quand je suis avec elle, il est facile de tout oublier, mais depuis quelques jours, je m'en veux tellement que je peine à me concentrer sur le désir bien présent sous-jacent.

La sonnette retentit. La sonnette ?

Je relève les yeux de mon plan, réfléchis un instant. Je n'attends personne, enfin, je crois.

Perplexe, je me lève, pose mes lunettes sur mon bureau, vais dans l'entrée, regarde par le judas, et mon cœur tressaute, bondit de ma poitrine, et s'écrase par terre.

C'est ma mère.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant