Je lis la lettre tous les matins en me réveillant, et tous les soirs avant de me coucher. Non, je ne suis pas folle à lier. Je suis juste perturbée. Et touchée.
Le poids des mots ne faiblit pas au fil des jours, bien au contraire. Plus le temps passe et plus je m'imprègne de ces paroles couchées élégamment sur ce papier épais, plus les courbes italiques des mots s'impriment à l'encre indélébile dans ma tête.
Et lorsque j'ai un coup de mou, que les chiffres devant moi se mélangent, que mon souffle se fait court, je fonce dans ma chambre, ouvre mon tiroir en grand et parcours encore et encore les lignes délicates. Cela me détend, me détache de la réalité une seconde.
Je suis assommée par le travail, mais je dois dire que ces quelques mots ont le don de me faire me sentir un peu mieux. Juste un peu.
— A' r'voir, mam'zelle ! me lance le commerçant avec l'accent ch'ti caractéristique de ma région.
Je lui lance un sourire, et pousse la porte du magasin en serrant contre moi mes achats. Je manquais de jus de cranberry – ma boisson phare, et de loin. Je me prépare toujours une petite mixture maison, en diluant le jus, puisque je sais qu'il ne faut pas en abuser.
Pour combattre la fatigue, j'alterne donc entre cranberry et café – un combo assez performant je trouve.
Celui qui dit que la caféine n'est pas efficace pour lutter contre le sommeil n'est qu'un petit bonhomme aigri. Sur moi, ça marche du feu de Dieu, et tant mieux.
Même si nous sommes dimanche, j'ai passé la journée à plancher sur des dossiers, m'acquittant de toutes les nouvelles responsabilités qui m'incombent.
Certains diraient que je suis une acharnée de travail, d'autres que je suis courageuse et admirable ; je ne prétends à aucun de ces titres.
Je ne fais que le strict minimum, en réalité. Travailler est une nécessité. Je dois prouver ma valeur. Sans cesse. Enfin, plutôt prétendre que je vaux quelque chose.
— Oh, chiotte !
— Sapristi !
La voix d'Oscar et la mienne s'élèvent à l'unisson alors que je m'étale par terre avec la grâce d'une baleine échouée sur une plage.
Note à moi-même : se prendre une porte dans la tronche, ça fait mal.
— Désolé ! s'écrie mon voisin en s'empressant de me tendre une main. Je regardais pas où j'allais, c'est de ma faute ! Tu t'es fait mal ?
— Imagine qu'un Warden* et Chopper* m'ont cognée, et tu auras une idée de mon état, je marmonne.
Même si mon coccyx me lance, j'exagère : je ne souffre pas tant que ça, mais le petit démon sur mon épaule me pousse à le faire marcher un peu.
Je saisis volontiers son bras, époussette mon long manteau brun, et vérifie que les pots de café en poudre ne se sont pas ouverts, et que mes affaires ont toujours leur place dans mes poches. C'est le cas.
Soupir de soulagement.
— Je suis désolé, vraiment ! répète Oscar, presque en panique.
Le voir ainsi est assez comique, cependant, j'arrête mon cinéma et le rassure :
— Je vais très bien, ne t'en fais pas. Plus de peur que de mal, j'ajoute avec un sourire.
Ses épaules se relâchent d'un coup, et il se frotte la joue.
— Tu es une très mauvaise personne, Véga, me charrie-t-il, les sourcils froncés mais le regard taquin.
Je ricane. Il est drôle. J'ignore pourquoi, mais la conversation se déroule naturellement, comme si nous étions les meilleurs amis du monde – alors qu'il n'en n'est rien.
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À la lettre près
RomansaQuand Virgile et Véga se rencontrent sur un palier d'escalier, c'est le coup de foudre. Chacun d'eux est, sans le savoir, troublé par la présence de l'autre, qui leur apparait comme parfait. Grand timide, Virgile n'ose faire le premier pas ; Véga, a...