10 - Virgile - Nébuleuse

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Droite, gauche, droite, respire.
Gauche, droite, gauche, respire.

Pirouette, demi-tour.

Droite, gauche, droite, respire.
Gauche, droite, gauche, respire.

Même en étant dans l'eau, je sais que ma peau exsude. Enfin, je ne sais pas s'il est physiquement possible de transpirer sous l'eau, mais qu'importe. Ce qui compte, sur le moment, c'est que l'eau me revigore, et me purge de toutes les pensées qui m'obsèdent depuis deux jours.

Cela fait deux jours que Véga a reçu ma lettre – enfin, celle d'Oscar.

Deux jours que je m'en veux, il faut le dire. Certes, cette ruse est en soi ingénieuse et va peut-être me permettre de me rapprocher de Véga au bout d'un moment – et encore, rien n'est joué - mais je doute malgré tout de mon idée.

Cela ne semble pas très honnête de lui mentir de la sorte. De lui cacher des choses. Cela ne sonne pas bien.

Je regrette aussi d'avoir demandé son aide à Oscar. Je n'aurais pas pu écrire ces magnifiques lettres de moi-même, bien sûr, mais peut-être que si j'avais davantage réfléchi, j'aurais trouvé une autre solution ne nécessitant pas un coup de main de mon meilleur ami dévoué.

Malgré son explication, j'ai du mal à croire qu'il ait changé d'avis aussi rapidement. Sans que je ne sache pourquoi, une faible voix me chuchote que son changement d'attitude est louche. Mais je n'arrive pas à mettre le doigt sur ce qui me turlupine, alors j'essaie d'écarter cette idée loin de moi.

Oscar est juste très – trop – gentil. Il a toujours été là pour moi, tout comme je serais toujours là pour lui, cela va de soi. Il tient à m'aider, et en réalité, j'aurais sûrement fait la même chose que lui. Mentir à une tierce personne n'est certes pas très recommandable, mais je serais prêt à beaucoup de choses pour rendre mon ami heureux.

Droite, gauche, droite, respire.
Gauche, droite, gauche, respire.

J'enchaine les longueurs, sans me reposer. J'ai besoin de me défouler.

Ma mère m'a foutu à l'eau pour la première fois lorsque j'avais cinq ans. Sans brassards, alors que je ne savais pas nager.

Elle m'a dit que je devais apprendre à me débrouiller pour ne pas couler. Spoiler alert, c'est bien sûr la piscine qui a gagné ce premier combat très inégal.

Inutile de dire que mon père n'a pas du tout apprécié cette démarche : c'est lui qui est venu me repêcher dans la piscine de mes grands-parents en catastrophe. Je me souviens de bruit de son plongeon, et de celui des verres remplis des cocktails qu'il avait préparés un instant plus tôt s'éclater contre la margelle.

J'ai bien failli me noyer, ce jour-là. J'en ai conscience. C'est une des raisons pour laquelle je ne peux plus voir ma génitrice à l'heure actuelle : elle ne m'a jamais aidé, ne m'a jamais compris, et ne m'a peut-être jamais aimé. Je doute qu'elle sache apprécier quelqu'un d'autre qu'elle-même, de toute manière.

Enfin, toujours est-il qu'après cette dangereuse baignade non consentie, on aurait pu penser que je ne voudrais plus jamais, au grand jamais, toucher une goutte d'eau de ma vie – à part pour boire. Et me doucher. Cela va de soi.

Ç'a été le cas, du moins au début.

Cette expérience m'a traumatisé, soyons clairs. Pendant six ans, j'ai refusé de m'approcher d'une étendue d'eau, tétanisé à l'idée de ressentir à nouveau cette angoisse glaçante, cette peur brûlante, de me sentir encore comme une gazelle entourée de lionnes affamées.

Autant dire que ma mère était déçue de moi – elle l'a toujours été – et de mon manque de courage ; mon père était outré de sa conduite, bien qu'il soit resté avec elle encore de nombreuses années ; j'étais confus, apeuré, et trahi.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant