48 - Virgile

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— Comment va petit Virgile, aujourd'hui ?

— Ta gueule, Dan.

Ça sort tout seul.

Je suis à fleur de peau depuis plus d'une semaine. Il ne faut pas me gonfler.

Vivre en colocation, c'est pas douteurs de tout repos. Vivre avec son meilleur ami qui nous a trahi, c'est l'enfer sur Terre.

Je l'évite. Je ne supporte pas de croiser son regard de chien battu dès qu'il entre dans la même pièce que moi par inadvertance. Ni lui ni moi ne discutons ; il a bien tenté d'engager la conversation, lorsque je suis rentré de ma dispute avec Véga, mais a vite lâché l'affaire quand je lui ai dit d'aller se faire foutre.

Je bosse comme un chien, et ce n'est vraiment, vraiment pas le moment de me faire chier, Dan.

— Virgile mord, on dirait. Tu a appris à parler, ça y est ?

— Je suis incapable de lire, pas de parler, trou de balle, je réplique.

Je n'ai pas de filtre. Ma rupture avec Véga – car c'en était une – m'a enhardi, durci. Ce doit être à cause de cette foule d'émotions qui me domine plus que je ne la domine, mais je ne me gêne pas pour ajouter avec autant de hargne que d'exaspération :

— Arrête de me faire chier, Daniel. Je me fous de que tu penses de moi, alors garde ta haine stupide pour toi. Ce n'est pas en m'enfonçant moi que tu vas monter les échelons, ni même être plus heureux. Trouve-toi un autre bouc émissaire, ou mieux : prends-en à toi-même. Regarde sur ta pelouse avant d'insulter celle du voisin.

J'alterne mensonges et vérité crue, enjolive le tout d'une métaphore revisitée et le tour est joué.

— Pour qui tu te prends, Creton ? il me balance.

Il en profite : je suis seul dans mon bureau comme à chaque fois qu'il vient m'embêter. Mais pour une fois, je me défends, et il n'aime pas ça.

— Tu crois que tu me fais peur ? il ajoute.

— Non. Je le sais. Parce que si tu continues, je porte plainte pour harcèlement

Mon ton est ferme, sans appel. J'espère être convaincant, mais je ne suis sûr de rien. J'y vais au culot.

— Tiens, Daniel, qu'est-ce que tu fais là?

André, mon compagnon de bureau, revient. Il fronce les sourcils à la vue de notre autre collègue, qui garde le silence, une mine crispée, et se retire sans demander son reste.

— Un problème ? m'interroge André.

— Non, aucun, je lui mens.

Ou du moins, j'espère qu'il n'y en aura plus.

Je me replonge dans le travail, mais le visage de Véga vient hanter mes pensées encore et encore. J'en arrive même à commencer à esquiver ses traits de façon grossière dans le coin de mon plan – ce qui est ridicule.

Ce qui me fout les boules, plus que le fait que nous nous soyons séparés, qu'elle m'ait menti, ce qui me fait tourner dans mon lit sans cesse avant de dormir, ce qui me serre le cœur, c'est que je l'aime encore.

Malgré tout, mon cœur bat toujours pour elle, et ça m'insupporte.

On ne s'est pas séparés parce qu'on ne s'aimait plus, mais parce qu'on s'est trop blessés. Et je ne sais pas qui de l'amour ou de la douleur est le plus puissant.

*

— Fais un effort, Virgile, je t'en prie. C'est ta mère.

Je reste muet.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant