45 - Véga

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Huit ans plus tôt

Je tapote mes doigts sur mon gobelet en rythme avec la musique, embarrassée. Trop de monde ici. Je ne sais pas pourquoi j'ai suivi Mélissa à cette fête. De toute évidence, ce lieu, cette ambiance ne sont pas fait pour moi.

La musique est trop forte, les gens ne cessent rire bêtement et de se bousculer, et les lumières stroboscopiques font pointer un début de migraine derrière mes rétines.

— Viens danser, Véga ! me somme mon amie.

Elle, elle s'amuse comme une petite folle. Elle adore ce genre de soirée. Son mec appartient à la fac qui l'organise, et elle m'y a trainée, ainsi que trois autres de nos copines. Enfin, ce sont plus les siennes que les miennes – je ne les apprécie pas tant que ça –, mais passons.

Même si elle est en couple, Mélissa vit sa vie comme elle l'entend, sans contraintes ; elle finit toujours sa soirée en bonne compagnie, que ce soit dans les bras d'une fille ou d'un garçon – ou des deux. Toutefois, elle aime profondément Marc – en tout cas, c'es ce qu'elle dit.

Je ne comprendrais jamais cette dynamique de couple, de mon côté. Je suis quelqu'un de fidèle, de loyal, et je ne m'imagine pas coucher avec quelqu'un d'autre que mon copain, même pour essayer.

C'est pour cela que j'ai beaucoup de mal avec les coups d'un soir. Même si j'ai vingt-et-un ans, je n'ai eu d'expériences qu'avec deux garçons, et des peu plaisantes qui plus est. Mélissa m'a amenée ici dans l'espoir que je me « décoince » ce que je trouve tout à fait ridicule. Ce n'est pas de ma faute si je ne suis pas comme elle !

Pour lui faire plaisir, je vide mon verre d'un coup, et la rejoins sur la piste improvisée, la gorge en feu.

Mon amie m'exhorte à me déhancher follement, me lâcher, et sous le coup de l'alcool – j'aime, en tout cas, me dire que c'est cela – je m'exécute. Mes pointes miel dansent devant mes yeux alors que je secoue la tête, saute et tourne sur moi-même.

Ma couleur d'origine, brun foncé, me manque, mais je ne dis rien : c'est Mélissa qui m'y a poussée, m'assurant qu'éclaircir mes mèches m'irait au teint. Elle avait tort : j'ai l'air de Bob l'Éponge, désormais.

Nous dansons, encore et encore ; ses copines nous rejoignent, je ris à gorge déployée. Quelqu'un ouvre une fenêtre, un attroupement s'y forme et des cigarettes et mauvais joints circulent dans l'appartement.

Mes lentilles me piquent un peu les yeux à cause de la fumée de cigarette, et je me retiens de me frotter l'oeil. Je veux rentrer chez moi. Non, rester. Je ne sais pas.

Mes temps pulsent, mon cerveau semble clignoter dans ma boîte crânienne. Je n'ai jamais bien tenu l'alcool : c'est bien pour ça que je n'en bois presque jamais. Mais ici, il n'y avait rien d'autre, et la minuscule cuisine est envahie par le club d'alcooliques : impossible d'accéder au robinet.

— Eh, Véga ! me chuchote – me hurle – Carole dans l'oreille. Le beau mec, là-bas !

— Lequel ? je l'interroge en m'approchant.

— Celui avec les lunettes et la barbe ! T-shirt orange !

Je plisse les paupières, suis son regard, et rencontre celui d'un jeune homme frappant de beauté.

Une monture écarlate lui entoure les yeux, et ses lèvres sont étirées en un rictus alors qu'il me dévisage sans gêne. Une barbe aussi noire que ses cheveux lui court sur les joues, lui conférant une allure à la fois de mauvais garçon et d'artiste ravageur.

— Va lui parler ! me poussent mes amies tour à tour.

Je fronce le nez : je déteste aborder les inconnus, surtout les hommes, surtout en soirée. Néanmoins, attirée par cet homme mystérieux, poussée par mes copines, je fais quelques pas en direction du bellâtre.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant