5 - Virgile - Brouillard

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Je ne sais pas comment se déroulent les pendaisons de crémaillère habituellement, mais je doute qu'elles mettent toutes en jeu une boule de disco accrochée au plafond et de la musique électro. Oscar a insisté ; je n'ai pas eu le cœur de le lui refuser.

Tous nos voisins sont présents et aucun d'eux n'a trouvé de commentaire à faire dessus, alors tant mieux. Oscar est ravi, moi aussi : nous allons pouvoir nous éclater, et faire la connaissance de notre nouvel entourage.

Les invités arrivent au fur-et-à-mesure et bientôt, notre appartement est rempli de rires et d'une ambiance propice à la décontraction et à la légèreté.
Le buffet que nous avons installé dans notre salon fait fureur, et même si nous ne sommes qu'une trentaine, j'ai l'impression d'être entouré de cent personnes.

Gobelet bleu à la main – à bas le diktat américain du verre de soirée rouge – je déambule parmi les convives : en plus des gens partageant l'immeuble, nous avons invité quelques uns de nos amis et une poignée de collègues sympas. Malheureusement, les parents d'Oscar n'ont pas pu venir, à l'instar de son frère, mais mon père a débarqué à 19h tapantes, son habituel sourire un peu triste accroché aux lèvres.
Le mélange des tranches d'âges est assez saisissant, puisqu'entre nos voisins du premier qui approchent la soixantaine, le jeune fils à papa riche à souhait du cinq, et les autres invités tournant autour des trente ans, la mixité est de mise.

J'ai aperçu la voisine d'en dessous entrer un peu plus tôt. Elle portait ses grandes lunettes et un pull ocre qui rehaussait son teint. Je n'ai pas pu aller la saluer, mais je pense qu'Oscar s'en est chargé. Charmeur comme il est, il a dû s'empresser de lui faire les yeux doux. Je me demande comment la fille a réagi face à son air de chien mignon.

Tous nos voisins nous ont félicités pour notre emménagement : en globalité, ils ont tous l'air aimables, et tant mieux. Je n'aurais pas supporté être en contact avec des aigris à longueur de temps. Non pas que je compte passer mes journées ici, loin de là : j'ai un travail. Mais même si je ne suis pas du genre social – pas du tout – j'aime entretenir des relations saines et cordiales. Comme la plupart des êtres humains, j'imagine.

— Vous avez fait du très bon travail ! s'exclame Mireille, la mamie du premier.

— Nous sommes bien contents que vous emménagiez, me souffle son mari, Denis, dont la moustache est plus fournie que le crâne de sa femme. Le propriétaire d'avant était exécrable !

Je souris, amusé par sa remarque. Denis a l'air d'un homme qui ne mâche pas ses mots, tandis que son épouse semble plus tempérée. Ils sont adorables, l'image parfaite du couple s'aimant comme au premier jour.

Je les salue brièvement, et m'en retourne chercher la voisine qui occupe tant de place dans mes pensées, et ce sans que je comprenne pourquoi. Nous nous sommes vus une poignée de secondes, je n'ai pas décroché un mot, et pourtant, elle m'obsède depuis maintenant une semaine. Nous ne nous sommes pas recroisés depuis : cependant, je la vois descendre tous les matins à la même heure que moi, mais elle sort toujours de l'immeuble avant que je puisse l'interpeller – ce que je n'oserais jamais faire, dans tous les cas. Je suis un garçon timide. Le soir, le même phénomène étrange se produit : elle grimpe dans l'ascenseur au moment où j'entre dans le hall, et s'envole pour son appartement, me condamnant à emprunter les escaliers.

Je l'aperçois soudain : malgré sa petite taille, elle est facilement repérable vue la faible densité de la foule. De plus, ses immenses lunettes ne passent pas inaperçues, au même titre que sa chevelure que je pourrais reconnaître entre mille tant sa nuance est particulière. Son brun foncé comporte des nuances acajous qui l'illuminent, et quelques reflets cuivrés apparaîssent même sous certains angles.
J'ignore quel est le Pantone correspondant à sa crinière, mais mon esprit d'architecte s'échine à le rechercher, au point d'en rêver la nuit. Non, je ne suis pas un gros pervers. D'accord, peut-être que j'y ressemble, mais ce n'est vraiment pas mon intention.

À la lettre prèsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant