Je gomme mon angle disgracieux, m'empare de mon rapporteur millimétré, et le corrige en deux temps trois mouvements.
Cette maison va être fabuleuse lorsqu'elle sera construite – si mon projet est validé, bien sûr.
— Je suis là !
Mon colocataire fracasse presque la porte en entrant chez nous, mais je ne m'en préoccupe pas. Il est loin de la décontraction ce soir, je le sais.
Je quitte mes précieux plans après les avoir un peu ordonnés et le rejoins dans la cuisine.
Il jette son bonnet sur un plan de travail, soupire.— Comment c'était ? je m'enquiers.
Il oeuvre tous les mercredis et dimanches soirs en tant que bénévole pour des distributions de soupes dans la ville. Oscar a le cœur sur la main, c'est une certitude : je dirais même qu'il est la personne la plus altruiste que je connaisse.
— Comme d'hab. Voir tous ces gens me regarder avec des étoiles dans les yeux alors que je ne fais que leur tendre un malheureux bol de soupe me brise le cœur à chaque fois. Ça ne devrait pas être normal qu'ils se contentent de si peu, qu'ils affrontent le froid et la nuit de la sorte, qu'ils aient pour seul repas de la journée un pauvre bouillon. Personne ne devrait trouver ça normal.
Je laisse planer le silence volontairement. Il a besoin de se décharger.
— Je sais que c'est mieux que rien, et ça me soulage de pouvoir leur apporter la moindre petite chose, mais c'est difficile tout de même. Enfin, termine-t-il en s'ébouriffant les cheveux. Pizza ?
Je ne relève pas son changement de sujet, et acquiesce.
Il est toujours chamboulé après ces soirées. Compréhensible : nourrir des SDF en restant souriant et agréable, sans montrer la pitié ou la compassion qu'ils inspirent malgré eux, semble être une tâche éprouvante ; l'état d'esprit de mon ami est légitime.
Je ne rajoute donc rien, et lorsqu'il finalise notre commande et raccroche, nous nous posons dans le canapé en attendant notre repas.
— Au fait, lance-t-il, j'ai réfléchi.
— À propos de quoi ?
J'étends mes pieds sur la table basse, et croise mes bras nus derrière ma tête. Je traine toujours en T-shirt à l'appart'. Nous ne mettons pas le chauffage à fond, loin de là : j'ai juste toujours chaud, quel que soit le temps dehors. Oscar, je le sais, porte un dessous de corps, deux T-shirts, et un gros pull. Nous sommes si différents que c'en est presque comique.
— De ton truc de lettre.
Je me tourne vers lui, surpris. Depuis que je lui ai proposé l'idée trois jours plus tôt, nous n'avons pas reparlé. Cela m'étonne qu'il aborde le sujet de la sorte.
— D'accord, je lâche, ne sachant comment réagir.
Oscar s'agite, soupire et finit par croiser mon regard.
— On est d'accord, elle ne sera jamais au courant ? m'interroge-t-il. Enfin, elle ne saura jamais que ce n'est pas toi qui a écrit ces trucs, n'est-ce pas ?
— C'est pas prévu, non, j'indique en fronçant les sourcils.
Il pince les lèvres, signe qu'il réfléchit. Je le connais comme si je l'avais fait, ses mimiques n'ont plus aucun secret pour moi.
— Dans ce cas, si ça t'arrange, je peux te rendre ce... service.
— Pourquoi tu as changé d'avis ? je lui demande aussitôt, intrigué voire un peu inquiet.
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À la lettre près
RomanceQuand Virgile et Véga se rencontrent sur un palier d'escalier, c'est le coup de foudre. Chacun d'eux est, sans le savoir, troublé par la présence de l'autre, qui leur apparait comme parfait. Grand timide, Virgile n'ose faire le premier pas ; Véga, a...