Chapitre 4

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Mes yeux s'ouvrent en même temps que l'aurore s'annonce. Je tourne la tête sans bruit et cherche Erika parmi les corps endormis près de moi, qui respirent bruyamment. Mon amie s'est décalée un peu plus loin et dort toujours à poings fermés. Rassurée, je repose ma tête sur le sol et observe le plafond abîmé de la tente fendue par endroits. Pas de labeur aujourd'hui, si l'on en croit les murmures des autres esclaves. J'entends des pas lourds et referme les yeux précipitamment, mimant un sommeil encore profond. L'homme répugnant d'hier se hâte d'ouvrir la maigre porte de la tente et de beugler à pleins poumons :

« Debout bande de feignants ! Aujourd'hui est un grand jour pour vous ainsi que pour moi ! Tâchez d'être beaux, pour que je puisse vous vendre à prix d'or ! »

Les autres esclaves sursautent et se redressent rapidement en un seul mouvement. Je frissonne de peur et mon regard croise celui d'Erika, qui tente de me rassurer en hochant la tête discrètement. Les hommes et femmes de labeur se lèvent et se réunissent à l'extérieur de la tente. La rosée matinale a humidifié l'herbe et le froid brûle la plante de mes pieds. Je me retourne une dernière fois vers mon amie alors que les murmures s'intensifient dans le groupe.

« Qu'allons-nous faire ?

— C'est aujourd'hui que se tient le jour du marché. »

Notre responsable passe lentement près du groupe et menace d'un regard de mort quiconque ose parler. Alors, dans le silence général, la horde d'enchaînés marche à l'unisson. Mon regard se dirige vers le village plus loin et je repère une estrade fraîchement installée pour l'occasion. Erika n'ose pas prononcer le moindre mot, sous la pression du silence. Le cerveau plein de questions, je suis la cadence sans comprendre. À mesure que nous nous éloignons de la tente, l'anxiété grimpe dans ma poitrine. Devons-nous nous retirer loin du village lors des marchés ? Est-ce une sorte de cérémonie à laquelle nous ne pouvons pas assister ?

Sous nos pas, le sol devient de plus en plus humide à mesure que la terre se transforme en boue. Elle s'enlace autour de nos orteils et caresse nos chevilles nues. Le village s'éloigne et nous longeons la forêt en direction d'un lac imposant. Au loin, on peut apercevoir un ou deux bateaux qui accostent dans la brume, chargés de vivres et d'objets de commerce. En voyant au loin ces marchandises, je comprends alors la raison de notre expédition : ce fameux marché ne vend pas des bijoux, mais bien des esclaves. Nous sommes une marchandise, montrée sur la place centrale en attendant qu'une somme soit affichée devant nos corps immobiles. Mais avant cela, il faut nous rendre présentable.

La petite troupe s'assoit docilement tandis que des seaux d'eau fraîche tombent sur nos têtes. Pour certains esclaves, c'est une douche de fortune, qu'ils n'ont pas eue depuis plusieurs semaines. Pour moi, je ne m'en souviens pas. La légère toilette que l'on m'a faite lors de mon sauvetage a été balayée par les heures de labeurs sous le soleil. Ma peau sale réclame propreté, même si c'est pour un intérêt futur. Un à un, nos vêtements sont trempés, nos cheveux brossés et notre peau essuyée. Sans aucune précaution ni délicatesse particulière, cependant. Nous sommes douchés, c'est déjà ça. Je me penche vers les rives du lac pour tenter de rincer mes cheveux mi-longs. Devant mon hésitation, Erika s'approche de moi et je sens son regard sur ma nuque. Intimidée, je me hâte de rincer mon corps dans l'eau claire et revêtir ma tunique sale, faute de change.

« Souhaites-tu que je t'aide à coiffer tes cheveux ? »

J'observe les autres esclaves et remarque qu'ils se lavent en binôme, pour contrer l'encombrement des liens autour de nos articulations. J'accepte, soulagée. Alors, les doigts de mon amie relèvent mes boucles et elle se hâte de les rincer progressivement. Le regard de ma collègue ne me quitte pas et son silence attire ma curiosité :

VarunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant