Le soleil se lève sur le village et je me réveille doucement à mesure que la luminosité de ma chambre augmente. À côté de moi, Saevald dort paisiblement. Je me retourne vers lui et souris en contemplant son visage détendu et ses yeux fermés. Je replace la couverture chaude sur ses épaules et dépose un baiser sur sa tempe avant de sortir du lit. Il bouge légèrement et sourit à ce contact, mais ne se réveille pas pour autant. Ces derniers mois lui ont demandé beaucoup d'efforts et d'énergie pour reprendre la tête du village : Saevald a convoqué ses conseillers afin d'améliorer les conditions de vie et de travail des esclaves et éduquer le people à la tolérance et la solidarité, au lieu de la peur systématique. Il a fallu également reconstituer l'armée, en formant de nouvelles recrues et en offrant le congé aux soldats blessés ou marqués psychologiquement. Je ne peux que ressentir une admiration silencieuse pour tous les progrès que Saevald a rendu possible. Sous sa direction, le village a un nouveau visage. Il fait tout cela non seulement pour assurer son autorité en tant que chef, mais aussi, je le sens, pour que je puisse trouver un semblant de paix, dans ce hameau dans lequel j'ai vécu tant de tourments.
Je m'habille en silence pour ne pas réveiller mon mari et jette un dernier regard vers lui avant de quitter la chambre. Le souffle paisible de Saevald accompagne mes pas alors que je traverse le salon, puis la cuisine, pour atteindre la porte d'entrée. Mes pieds nus foulent les graviers froids à l'extérieur, une sensation familière et apaisante. Je salue d'un signe de tête les deux soldats postés devant la maison, qui m'adressent un hochement de tête poli. Je parcours lentement le village encore endormi et mes pas m'entraînent naturellement vers l'ancienne maison de Saevald. Mon regard se pose sur le bois sombre de la façade et je revois Saevald, le premier jour où il m'a accueillie. Son expression interloquée lorsqu'il a appris que je devrais vivre sous son toit et nos discussions autour de la grande table du salon. Je me remémore ses recherches sur le seidr, la visite de son armurerie et les parchemins qui cartographient le territoire des Jomsvikings. Un sourire traverse mes lèvres alors que je continue ma route vers les autres bâtiments qui me sont désormais familiers. La fontaine majestueuse apparaît dans mon champ de vision et je la contourne lentement, pour capter le regard de mon reflet dans l'eau translucide.
Non loin, la place du marché commence à s'animer. Des marchands préparent leurs étals, quelques enfants courent dans les rues et des rires se perdent dans l'air frais. J'aperçois Erika derrière son étalage, occupée à vendre les produits de ses patrons. Je me souviens de mes chevilles et poignets liés lorsque j'ai monté cette petite estrade, et que des inconnus ont estimé ma valeur. Les regards de ces hommes et femmes qui m'ont auscultée pour tirer le meilleur prix de mon corps. Un frisson me parcourt alors que je continue mon chemin vers la place centrale, où les pavés usés par le temps brillent sous la lumière naissante du soleil. Le lieu de mon jugement pour ma liberté, pour mon statut de femme libre. Cette même place sur laquelle Saevald, contre toute attente, a pris ma défense et a bravé les ordres de son père pour plaider en ma faveur. Je ferme les yeux quelques secondes, laissant les souvenirs couler sur moi comme un doux vent du passé. C'était il y a longtemps, si longtemps que j'ai l'impression qu'il s'agissait d'une autre vie.
Je m'éloigne pour longer la maison close et un goût amer remplit ma bouche alors que j'accélère le pas. Je passe devant la grande tente blanche de l'infirmerie et souris à cette femme qui m'a soignée à mon arrivée dans le village. Elle qui a pris soin de moi ainsi que d'Erika pendant sa convalescence après son empoisonnement. Mes pas me mènent vers les champs dans lesquels les esclaves se rassemblent pour ramasser les herbes et cultiver les nouvelles graines. Par réflexe, je baisse les yeux sur mes propres mains, dénudées des ampoules qui recouvraient ma peau autrefois. Une petite charrette passe près de moi et je me retourne pour rejoindre le camp de formation des futurs soldats. Mon regard suit chacun des mouvements des jeunes hommes avec une bienveillance protectrice. Certains d'entre eux se redressent à mon arrivée et exercent une référence, en respect à mon statut de vétérane de guerre, et de femme du chef. Cette action me fait chaud au cœur et je les remercie chaleureusement. Parmi les entraîneurs, je repère Aaskell, qui a grandi. Son visage est plus mince et son corps s'est sculpté pour le combat et la vitesse. Malgré son jeune âge, il dispose d'une expérience et d'une technique digne des plus grands guerriers. Le jeune homme me salue d'un geste que je lui rends aussitôt. Voir sa maturité nouvelle me fait soudainement réaliser combien j'ai moi-même grandi, appris et changé depuis mon arrivée dans ce village.
L'un des instructeurs siffle avec autorité pour marquer une pause dans l'entraînement et les chocs des épées de bois cessent aussitôt. Aaskell en profite pour rejoindre le petit groupe pour leur fournir d'autres consignes et je le suis des yeux. Sous ses pas, la terre est marquée, creusée par les traces de combats. Je me revois affronter en duel l'un de mes frères d'armes de l'époque, en réponse à ses critiques cinglantes. Soudain, une tache de couleur attire mon regard : une petite fleur rose s'éveille avec les rayons du soleil, nichée entre deux touffes d'herbe. Intriguée, je m'approche de cette découverte et me penche pour toucher délicatement ses pétales.
« Varunn ? Qu'est-ce que tu fais ?
Je me redresse rapidement à l'appel de mon nom et me redresse vivement. Aaskell s'est tourné vers moi, un sourire amusé aux lèvres. Je balbutie une réponse et le rejoint avec hâte :
« R... Rien, j'avais vu quelque chose, c'est tout.
— Les recrues veulent savoir comment tu as protégé notre armée des Berserks. Tu veux bien leur raconter ? »
Je sens mes épaules se détendre légèrement alors que je m'apprête à conter cette histoire désormais légendaire parmi les villageois. Je repense aux rumeurs et aux murmures à propos de mes origines divines, de l'apparition de mon père le jour de mon mariage ainsi que de la rune inscrite sur ma peau. Pourtant, pour moi, il ne s'agit pas de mythes mais bien d'instants où la magie fut une arme nécessaire pour survivre, pour protéger mon peuple.
Loin de cette petite agitation, la petite fleur éclatante trône au milieu du camp d'entraînement. Ses pétales se meuvent légèrement sous la caresse du vent. C'est une jusquiame rose, dénuée de toute force obscure, identique à celle que je cueillais étant enfant. Le symbole de l'espoir et du renouveau. Le symbole de la pureté.
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Varunn
AdventureVarunn, jeune femme intrépide et solitaire, se réveille au milieu du désert sans le moindre souvenir de son passé ni de son identité. Perdue et désorientée, elle est recueillie par Saevald, le redoutable chef de l'armée du clan des Jomsvikings. De s...