Le trajet jusqu'au village des Berserks est long et fatigant. Pour préserver ma monture, je fais régulièrement des pauses, toujours en suivant les traces des guerriers Jomsvikings. Je sens à leur excitation que nous arrivons bientôt. En silence, je caresse l'encolure de Sleipnir pour l'encourager, le regard fixé sur l'horizon. Les arbres de la forêt laissent peu à peu place aux plaines verdoyantes. À première vue, rien ne pourrait laisser penser que le peuple sanguinaire le plus craint du territoire vive ici. Un détail attire mon attention cependant et je stoppe mon cheval. Il n'y a aucun animal aux alentours. Les oiseaux ont arrêté de chanter et les lapins se sont cachés sous terre. Je tâte mes poches et soupire en réalisant que mon arc est resté au campement. Je sors discrètement un canif et observe du coin de l'œil les Jomsvikings continuer leur chemin. Je descends discrètement de ma monture et me penche pour cueillir une fleur aux pétales vert jaunâtre. J'observe avec curiosité son cœur noir recouvert de petits points. Au contact de mes doigts, une odeur fétide se dégage et je la lâche aussitôt. Sleipnir trépigne d'impatience, peu rassuré par ces fleurs qui bourgeonnent le long du sentier. Non loin de là, un chien gît au sol, empoisonné après avoir léché un des pétales. J'essuie ma main sur ma tunique et me hâte de reprendre mon chemin, de plus en plus mal à l'aise. La mort a laissé des traces de son passage.
Je remonte en selle, l'esprit agité par cette découverte. Le malaise qui s'insinue en moi ne fait que croître, comme si la terre elle-même était imprégnée de quelque chose de malsain, d'un sentiment de colère immense qui fait écho dans mon cœur. Le silence autour de moi est lourd, presque oppressant. Les ombres sur le sentier semblent danser et le martèlement des sabots de Sleipnir sur la terre molle trahit sa nervosité. Soudain, un bruit lointain de lutte me parvient. Je tends l'oreille, tous mes sens en alerte. Des cris de guerre déchirent le silence et je tire les rênes, faisant pivoter mon cheval en direction de l'agitation. Je presse les flancs de son cheval, le souffle coupé par l'angoisse et l'adrénaline. Le vent siffle à mes oreilles, chargé d'une odeur de sang et de souvenirs amers. Le choc des épées résonne dans un bruit sourd. Je n'ai jamais été aussi proche du village des Berserks, je peux apercevoir nettement le champ de bataille se dévoiler sous mes yeux. Mon cœur se sert à l'idée qu'au cœur de ce village, Saevald est retenu prisonnier et se bat pour survivre. Mes pensées s'entremêlent, chaotiques. Je dois le faire, je dois rétablir l'ordre, accourir pour aider mon peuple, mes frères d'armes. Et pourtant : le spectacle de cette lutte sanglante à quelques mètres ne provoque chez moi aucun sentiment.
Les Jomsvikings. Ce peuple de guerriers avec qui j'ai combattu, vécu, grandi et qui m'ont lâchement enfermée et trahie. Je revois encore les yeux remplis de haine de ces soldats, persuadés de ma culpabilité. Le visage de Sven, dur et inflexible, qui cherche des réponses à l'arrestation de son dernier fils. Ils m'ont tour à tour déshonorée, lynchée, insultée, puis m'ont abandonnée à mon sort. Je serre les poings et stoppe ma monture, à la frontière de la forêt. Les jointures de mes doigts blanchissent autour des cordages. Comment pourrais-je les pardonner ? Comment pourrais-je combattre aux côtés de ceux qui m'ont vue comme un fardeau, une menace ?
Pourtant, une partie de moi me hurle que cette guerre dépasse mes rancunes personnelles. Je ne peux pas me rabaisser à imiter les hommes, car je ne suis pas comme eux. Je suis la fille de Váli. Ce destin que j'ai tant cherché à fuir, ce pouvoir que j'ai tenté d'étouffer, fait désormais partie de moi. Je dois l'accepter au même titre que mon destin. Il me faut punir le peuple des Berserks pour leur insolence, pour le chaos qu'ils sèment sur leur chemin.
Je presse mon destrier pour rejoindre au galop le champ de bataille. Il n'est plus question de rester sous couverture, je dois aider les Jomsvikings. Devant moi se rapprochent les maisons ennemies, férocement protégées par son peuple guerrier qui court à la rencontre de l'envahisseur. Les chevaux hennissent et se cabrent alors que les corps tombent au sol. Sleipnir traverse la foule de soldats et j'écarte les bras, paumes ouvertes, pour sentir l'énergie du seidr m'envahir. Une vague de chaleur traverse ma poitrine et je sens cette énergie s'étendre dans mes membres, envahir chaque parcelle de mon être. C'est une force brute, une puissance qui dépasse toute compréhension. Je n'ai plus besoin de me battre avec une épée ou un arc. Mon corps tout entier est devenu mon arme. Je me concentre alors que les sabots de ma monture martèlent le sol en rythme. Une vague de puissance fait sursauter mon corps et une onde de lumière fait reculer l'ennemi. Plusieurs soldats sont projetés en arrière comme s'ils avaient été frappés par un bélier invisible. Cette violence surnaturelle fait trembler mes alliés, qui se déconcentrent. Étant moi-même surprise par ce sort, je souris avec fierté et vise de ma paume plusieurs soldats Berserks. Leur dos est recouvert d'une peau d'animal sombre et leur hache est plus tranchante qu'un rasoir. Je lance un regard circulaire sur le champ de bataille et observe avec horreur que mon peuple est en train de perdre. La rage meurtrière de l'ennemi paraît presque surhumaine. Y aurait-il une Völva qui leur viendrait en aide ? Un soldat me fait violemment descendre de mon cheval en agrippant mon armure avec force. Mon dos heurte le sol et me coupe le souffle quelques secondes. Je me relève pour faire face à mon assaillant et reconnais le visage du chef des Jomsvikings. Sven. L'homme me dévisage, l'air hébété, comme s'il se tenait devant un fantôme. Son visage est déformé par la colère, mais ses yeux trahissent une incompréhension qui frôle la panique. Il serre les dents, le souffle lourd, tandis que mes propres poumons peinent encore à retrouver de l'air après la chute.
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Varunn
AdventureVarunn, jeune femme intrépide et solitaire, se réveille au milieu du désert sans le moindre souvenir de son passé ni de son identité. Perdue et désorientée, elle est recueillie par Saevald, le redoutable chef de l'armée du clan des Jomsvikings. De s...