Chapitre 9

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Sitôt le soleil levé, je repousse les couvertures animales qui recouvrent mon lit et pose mes pieds sur le sol frais. Mes orteils savourent le contact avec la surface irrégulière du bois, qui remplace la terre des champs que j'ai connus. J'ouvre la porte de ma petite chambre et remarque avec étonnement qu'une tenue propre est pliée sur le seuil de la pièce. Je la saisis et l'observe sous toutes ses coutures, surprise d'une telle attention. Je n'ai pas été habituée à une hygiène aussi rigoureuse, d'autant plus que nos tuniques d'esclaves n'étaient que rarement changées. Je me hâte donc d'ôter ma tenue pour en revêtir une nouvelle. Puis, je sors dans le couloir et entre timidement dans le séjour, mes pieds nus ne faisant aucun bruit. J'y retrouve Saevald, qui savoure son petit déjeuner paisiblement. Il lève à peine ses yeux vers moi, trop occupé à remplir son estomac.

« Tu te lèves tôt. C'est bien. »

Saevald redresse la tête et je tourne mon visage vers le couloir avec curiosité, d'où parviennent des bruits que ferait quelqu'un qui cuisine. Mon hôte sourit et m'invite à le rejoindre :

« Tu as faim ? »

Je jette un œil sur les restes de soupe et de graisse animale que Saevald engloutit avec appétit et acquiesce, l'estomac vide. Alors, il interrompt son repas le temps de se redresser :

« Héla ! Sers donc un repas à notre invitée. »

Presque aussitôt, une jeune femme entre dans la pièce et acquiesce en réponse à Saevald. Je me surprends à admirer ses cheveux longs d'un noir de jais. Toutefois, son visage paraît commun, doté de traits que l'on retrouve dans la plupart des visages. La jeune femme me dévisage avec un air neutre puis s'en va préparer mon repas avec empressement. Quelque peu gênée, j'entremêle mes doigts et m'assois timidement sur une des chaises.

« J'ignorais que vous aviez une épouse.

— Nous ne sommes pas mariés. Héla est une frilla, elle vit sous mon toit pour répondre à chacun de mes besoins et mes désirs. »

Son regard traverse mon visage pour appuyer ses propos et il reprend sa dégustation sans plus d'explications, comme si j'en savais déjà trop.

« Si telle était ta question, Héla est une femme libre. Sa condition n'est pas inférieure à la mienne, ni à la tienne désormais. »

Je hoche la tête pour lui montrer que je comprends ses explications et un léger sentiment de fierté me saisit à l'idée d'être une citoyenne comme les autres. La principale concernée nous rejoint dans la pièce et pose une tranche de pain garnie devant moi sans un mot. Puis, elle s'assoit calmement près de Saevald, en face de moi. Je capte un léger air de défi dans son regard et hausse les sourcils, quelque peu intimidée. Sa jalousie débordante attire ma curiosité et je saisis ma tranche de pain sans sourciller. Apparemment, la liaison entre Saevald et cette femme n'est pas légalement reconnue. Elle n'est donc pas plus légitime que n'importe quelle autre citoyenne, car n'est pas considérée comme sa conjointe et encore moins son épouse. Sa peur d'être remplacée paraît presque maladive, à l'instar d'un chien affamé qui protège son os.

Je termine mon petit déjeuner avec appétit et me lève, l'estomac repu. Saevald, qui a fini de manger depuis quelques minutes, se lève à son tour et entoure sa taille d'une ceinture épaisse, à laquelle il attache une hache de combat. Mes yeux s'attardent sur cette arme et je reviens brutalement à la réalité : il y a des citoyens à l'extérieur de cette maison qui veulent ma peau.

« Héla, Varunn, je pars quelques jours pour représenter l'armée de mon père auprès d'autres clans. Je n'en ai pas pour longtemps, je serai en territoire allié. Je reviendrai avant la semaine prochaine. »

Sur ces mots, il salue la gardienne de sa maison et m'adresse un hochement de tête entendu. Je baisse les yeux en signe de respect et patiente que le chef des armées quitte sa demeure avant de pouvoir relever le menton. J'entends la petite porte claquer en un bruit sec et soupire nerveusement. La seule personne à m'avoir soutenue lors de mon jugement vient de quitter les lieux et s'éloigne en ce moment vers un territoire étranger. Je vais devoir user de patience et redoubler de courage.

VarunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant