Chapitre 6

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À l'aube de cette nouvelle journée, le villageois responsable des esclaves dénoue mes liens du piquet de bois. Mes muscles sont tendus et douloureux après une nuit passée debout. Je n'ai que peu dormi et je peine à me concentrer, comme si un brouillard épais m'empêchait de penser.

« Aller, avance. Tu vas rejoindre tes camarades. »

L'homme me pousse et je reste quelques instants immobile. Je me décide finalement à marcher lentement, un pas devant l'autre, pour ne pas m'écrouler. Je repère la tente sous laquelle l'ensemble des captifs a passé la nuit, excepté moi. Le peu d'énergie que je mobilise se concentre sur Erika : j'espère qu'elle a pu être prise en charge dans l'infirmerie, malgré son statut. Ma frayeur la plus ultime serait qu'on vienne m'annoncer sa mort, suite à son empoisonnement. Je sors de mes pensées alors que les binômes de travail se forment et je constate que je n'ai personne avec qui m'associer. Face à ce constat, notre maître grincheux soupire :

« Attachez-la avec celui-là. »

Je tourne mon visage vers un homme méfiant, dont le visage sale n'exprime aucune émotion. Derrière lui, son binôme est toujours allongé, les yeux fermés malgré le vacarme qui s'installe. Je constate avec stupeur qu'il est mort. Les circonstances de ce drame me sont inconnues, mais mon instinct ne me dit rien qui vaille. Peut-être le malheureux était fatigué, ou bien trop vieux. Ou est-ce un meurtre. Mes poignets tremblent lorsque la corde se resserre contre ma peau, me liant avec ce bourreau silencieux. Son regard froid me fait frissonner et je dévie le visage pour ne pas vomir. D'autres hommes et femmes nous conduisent jusqu'à un petit chemin de terre fraîche.

« Notre chef, Sven, a lancé une nouvelle mission de conquête des territoires alentours. Il souhaite déployer nos forces marines pour explorer les îles proches. Vous allez donc rénover les prochains navires. »

Notre maître gonfle son torse avec fierté, heureux d'avoir été missionné pour une telle tâche. Nous sommes donc tous conviés sur le chantier des futurs bateaux d'expédition. Ce dernier est situé près d'une maigre forêt, où le bois est récupéré massivement pour tailler les planches et composantes des drakkars. Durant toute la durée du petit trajet, je n'échange pas le moindre mot avec mon binôme, dont l'attention est plongée sur les champs autour de nous. Ses cheveux ont été rasés, signe de traîtrise, ou d'acte illégal sur le campement. Pourtant, il a gardé le noir autour de ses yeux, charbon étalé jusque sur ses paupières, malgré sa condition désastreuse. Or les esclaves ne peuvent pas se procurer ce type d'artifices. Il doit être en relation avec des civils libres, qui lui fournissent ce qu'il souhaite. Mais en échange de quoi ?

Les esclaves les plus forts sont dispersés à la lisière de la forêt, où sont abattus les troncs d'arbres les plus résistants. Les petits ouvriers ont déjà entamé leur tâche et saisissent de lourds outils pour façonner le bois. À vue d'œil, je dirais que la rénovation de ce navire a débuté il y a quelques jours à peine. Il faudra au moins deux mois pour le remettre complètement à neuf, contre près de trois ans pour en construire un entièrement. Celui-ci a subi de nombreuses dégradations liées au temps et aux conditions de navigation. Je ne dispose d'aucune compétence dans ce domaine, c'est pourquoi on m'a chargée de façonner les planches fraîchement coupées. Je m'approche de l'impressionnante création et pose timidement mes doigts contre la surface rugueuse. La carcasse du navire a dû subir de violentes tempêtes, car le bois est fragilisé, voire pourrit sur quelques côtés. Je contourne le chantier pour me rapprocher des troncs de chênes et de pins qui s'amassent sur le sol. À peine ceux-ci abattus, trois esclaves s'occupent de trancher des planches avec leurs lourdes haches. L'ouvrier chargé de les superviser me siffle de venir les aider et je frémis d'effroi à l'idée de travailler avec une arme aiguisée. Je m'approche en répondant à l'appel de mon nouveau supérieur et celui-ci me tend un outil dont j'ignore l'utilité :

VarunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant