Varunn

Chapitre 36

À l'aube, je rejoins les écuries du village pour retrouver la monture blanche qui m'a ramenée la veille. Le grand espace, habituellement rempli de bruits de sabots et de hennissements, est étrangement apaisé. La majorité des chevaux partis au combat n'y sont pas revenus. Mes yeux se posent sur la jument que j'ai enlevée à son village. Elle est calme et redresse curieusement sa tête lors de mon arrivée dans son enclos. Je lui souris en m'approchant d'elle :

« Tu n'as pas dormi non plus, on dirait. »

Je pose affectueusement ma paume sur ses naseaux et frémis au contact de l'air chaud qui s'en dégage. Je jette un œil en direction du sol couvert d'herbe sèche et de terre poussiéreuse.

« Il faut dire que ton lit n'a pas l'air très confortable. Le mien non plus, tu sais. »

Je repense à cette demeure qui appartenait autrefois à Sven – le père de Saevald – et qui est désormais la sienne. Le village a ses coutumes : quand le chef meurt, c'est à son héritier de prendre sa place, non seulement à la tête du clan, mais aussi sous son toit. Or Saevald m'a invitée à partager sa chambre hier soir, dans la maison qui symbolise l'autorité et le pouvoir des Jomsvikings. Mais malgré toutes mes bonnes intentions, je n'ai pas réussi à trouver le sommeil. Chacun des murs de cette maison respire encore la présence de Sven. Je sens encore son regard sévère sur moi et la simple pensée de ses menaces me fait frissonner. Et pourtant, Saevald m'a invitée chez lui, comme s'il voulait me faire une place de manière officielle. Il n'a pas formulé cette invitation clairement, mais les gestes parlent pour lui. Le peuple tout entier l'a vu m'accueillir à ses côtés, m'accordant son respect, m'invitant à m'asseoir près de lui en public. Car le nouveau souverain a pris la décision de libérer Héla de son statut de frilla, rompant ainsi le lien qui les unissait. Cette pratique n'est pas courante et le laisse désormais sans promise. Je me demande ce qu'elle ressent à ce sujet. Peut-être qu'elle m'en veut, ou peut-être qu'elle s'est résignée à cette nouvelle réalité.

« Jolie jument. »

Je sursaute et la voix de Saevald me tire de mes pensées. Je me retourne vers le jeune chef, qui s'approche des flancs de l'animal. Sa voix est douce, presque apaisée malgré l'épuisement que je lis dans ses traits. Ses mains semblent chercher une connexion avec la monture puissante qu'il ne connaît pas. Gênée de m'être laissée surprendre, je passe la main sur ma nuque et recule légèrement.

« Merci. Je crois qu'elle s'entendrait bien avec Sleipnir. »

Je laisse ma phrase en suspens, incertaine. Mes mots flottent un instant dans l'air dans l'attente de la réaction de Saevald, ne sachant pas si sa monture est rentrée saine et sauve au village. Je ne l'ai pas vue dans les enclos ce matin, mais peut-être est-il parti se promener dans les plaines voisines. Le souverain hoche la tête en silence et me sourit. Un poids se soulève de mes épaules et je soupire de soulagement : l'animal a pu rentrer en bonne santé.

« Où l'as-tu trouvée ? »

Je baisse les yeux vers la jument et effleure sa crinière du bout des doigts. Un souvenir fugace me revient, celui de l'éclair fuyant de sa robe blanche parmi les ruines.

« Je l'ai volée aux Berserks.

— Je pense plutôt que c'est elle qui t'a choisi. Tu ne lui as mis aucun filet et pourtant elle t'a suivie comme ton ombre. À moins que tu ne l'aies envoûtée ? »

Je ris nerveusement, mais le son qui s'échappe de mes lèvres semble étranger, presque forcé. Envoûtée... Ce mot fait écho en moi, au seidr que j'ai perdu et résonne contre une peur sourde que je tente de repousser. Je grimace à cette pensée, incapable d'effacer ce malaise. Saevald observe attentivement ma réaction et retire sa main de la robe du cheval avec un air de méfiance. Je sais qu'il a remarqué mon absence cette nuit. Il s'inquiète pour moi et ne cherche pas à le cacher.