Chapitre 26

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Mes yeux s'ouvrent doucement et la lumière m'aveugle pendant quelques instants. Ma tête est encore lourde mais mon sentiment de malaise a cessé. Je me retourne et constate que ma chambre est vide. Saevald a dû quitter mon lit au lever du jour. Je m'étire lentement, encore convalescente. Un morceau de parchemin plié attire mon attention, sagement posé au chevet de mon lit. Je le récupère et je parcours les quelques lignes manuscrites.

« Bonjour, Varunn.

Dormir à tes côtés a été la chose la plus merveilleuse qu'il me soit donné de vivre. J'ai pris conscience de l'importance de ce que tu représentes à mes yeux. Je songe sérieusement à renvoyer Héla pour te présenter à mon père officiellement. »

Je me mords la lèvre inférieure et un frisson de joie me parcourt. Mais mon sourire ne reste pas longtemps sur mon visage.

« Si tu lis ce message, c'est que je suis déjà parti. Mon père a organisé une réunion en urgence après que le village voisin a été attaqué. Tu as dormi presque une journée et demie, et je n'ai pas voulu te réveiller pour t'annoncer la nouvelle. Je pars avec une dizaine de soldats pour protéger nos terres de l'ennemi. Je reviendrai d'ici à une semaine, si tout se passe bien.

Mes pensées les plus tendres te sont destinées.

Saevald. »

Je serre le parchemin contre ma poitrine en prenant une grande inspiration. Ne panique pas, reste calme. Saevald est en mission pour sécuriser le territoire, pas pour se battre contre les Berserks. Avec un peu de chance, il ne s'agit pas de ces soldats mais d'une autre armée moins terrifiante. Je ferme les yeux et repense à la prédiction de la Völva. La guerre sera inévitable.

Je sors de ma chambre pour gagner la salle de bain. Je constate que la pièce a été nettoyée et qu'il ne reste aucune trace de mon dernier passage désastreux. Mon regard se pose sur l'eau froide qui attend patiemment. Je vérifie dans le couloir si la maison est vide et constate par l'absence de bruit que Héla est sortie. Alors, je me hâte de me déshabiller et plonge mon corps dans l'eau glacée. Ma peau se raidit à ce contact et j'esquisse une grimace. Une fois entièrement mouillée, je ferme les yeux pour submerger mon visage et me laisser couler entièrement. Je remonte à la surface pour respirer et passe mes mains dans mes cheveux pour me laver. Je touche du doigt la rune qui est toujours ancrée sur ma peau tel un tatouage divin. Une idée me vient en tête et je tente de me remémorer les runes que j'ai étudiées. Je m'assois dans le petit lac artificiel et trace avec mon index un symbole à la surface. Puis, je réveille le seidr dans mes veines et souffle sur l'eau. Je sens la chaleur peu à peu remonter et la température de l'eau augmenter doucement. Ravie d'avoir réussi, je ne peux retenir un cri de joie et je rince mon corps à présent propre. Mais la température continue de croître et devient presque brûlante. Je sors avec précipitation du bain et observe l'eau frémir à la surface.

« Oh non, merde. »

Je tente de plonger mes mains dans l'eau mais celle-ci est devenue bouillante. Incapable de stopper le seidr, je tourne en rond dans la salle de bain pendant que l'eau s'évapore. Je pose mes mains sur mes joues avec impuissance et tente d'effacer la rune tracée sans succès. La vapeur se forme rapidement jusqu'à ce qu'il ne reste plus une seule goutte dans le bain. Je touche du bout du doigt la rune de feu et l'observe disparaître sous mes yeux. Soulagée qu'elle soit partie, je soupire :

« Bon, c'est noté. Les runes sont beaucoup trop puissantes. »

Mon estomac grogne de faim et je m'habille en vitesse pour rejoindre la cuisine. Dans une marmite, l'odeur de la soupe emplit mes narines. Je soulève le couvercle et observe la mixture de légumes. Je plonge une tranche de pain directement dans le liquide et savoure mon plat. Mon regard se pose sur la viande coupée à côté du récipient et je sélectionne quelques morceaux de graisse animale pour les étaler sur mon pain.

« Répugnant. »

Je me retourne vers Héla qui m'observe, les mains sur les hanches à l'entrée de la cuisine. Je termine de manger sans gêne et referme la marmite calmement :

« Je ne t'ai rien demandé, Héla.

— Je suis venue te dire que Sven exige que tu reprennes ton entraînement. Ta comédie est terminée, Varunn. »

Héla me toise avec dédain et quitte la cuisine pour se diriger vers sa chambre. Je jette un dernier regard vers la nourriture et emporte une tranche supplémentaire de pain avant d'aller me changer pour le combat. Compte tenu de la situation critique, il n'est pas étonnant que Sven regroupe le reste de son armée pour l'entraîner avec rigueur. Je sors de la maison revêtue de ma nouvelle tenue et me dirige vers le centre du village. Bien que mon état soit toujours instable, je me sens capable de combattre. De toute façon, je n'ai pas le choix.

« Eh bien ! On dirait que la fragile recrue n'a pas abandonné ses frères d'armes, finalement. »

Les soldats ricanent en me voyant arriver et l'un d'entre eux me lance une épée de bois que je rattrape de justesse.

« Alors, la pauvre chérie n'a plus de langue pour parler ?

— Je vous emmerde. »

Je toise le jeune homme qui sourit en haussant les sourcils face à ma réponse.

« Bon, bon... Ce ne sont pas des manières pour s'adresser à son camarade. Ce n'est pas bon pour l'esprit d'équipe, tout ça.

— Je n'y suis pour rien si vous êtes décérébrés. Vous ne réfléchissez qu'avec votre épée.

— Très bien. Voyons ça, dans ce cas. Prends ton arme et défends-toi. »

Un petit cercle de soldats se forme sur le camp d'entraînement et je suis contrainte d'affronter cet insolent. Sauf qu'il a un avantage considérable : il est en parfaite santé. Je me concentre pour rassembler mes forces dans le seidr et mes yeux frémissent légèrement lorsque j'y parviens.

« Tu es obligée d'utiliser ta sorcellerie pour me battre ? Suis-je aussi fort que cela ? »

Les autres se moquent et j'entends leurs rires bourdonner jusqu'à mes oreilles. Le soldat profite de ce moment d'inattention pour m'asséner un violent coup de bâton dans les côtes. Je trébuche et mes vertiges reviennent. Je tente de rester sur mes pieds avec difficulté. L'homme s'approche lentement de moi et saisit avec force mes cheveux pour tirer ma tête en arrière et me forcer à le regarder.

« C'est tout ? Tu ne m'attaques pas ? »

Je lâche mon épée de bois en signe d'impuissance. Ce geste fait sourire mon adversaire.

« Messieurs, je pense que cette soldate n'est pas digne de se battre à nos côtés. »

Il desserre son emprise sur mes tresses et m'assène un dernier coup dans l'estomac. Je me plie en deux et atterris à genoux sur le sol. Mes vertiges me font vomir et mon corps se remet à trembler.

« Sérieusement, tu es pitoyable. Qui voudrait d'un allié aussi faible ? Tu n'es même pas capable de te protéger toi-même. »

Je reste immobile sur le sol tandis que les autres s'écartent pour continuer leur entraînement. Lentement, je me relève et essuie les larmes qui ont coulé sur mes joues. Je ressemble à un chiot à peine né qui fait ses premiers pas. Il faut que je me remette sur pied avant d'être davantage menacée. 

VarunnOù les histoires vivent. Découvrez maintenant