Varunn

Chapitre 12

Ma tête repose sur le sol froid et j'observe le plafond de l'infirmerie dans la nuit. Une brèche dans le tissu de la tente me permet d'apercevoir les étoiles qui scintillent.

« Merci. »

Je tourne le visage vers Erika, allongée sur son lit à un mètre de moi. Je ne réponds rien, l'esprit trop bruyant pour prononcer le moindre mot. Mes pensées se bousculent et je repense à ce repas où nous avons échangé nos rations. Je ne peux m'empêcher de penser que ce poison m'était destiné.

« Pourquoi as-tu tenu à dormir avec moi, au lieu de retourner au confort de ta nouvelle maison ?

— Saevald est parti en reconnaissance militaire auprès d'autres clans. »

Erika esquisse une petite moue, comme si ma réponse ne lui convenait pas tout à fait. Je soupire :

« Je n'aime pas cette maison. Enfin, je veux dire... Je n'ai rien contre le fait d'être logée et nourrie, au contraire, mais sans Saevald, la maison est silencieuse et vide. Il n'y a que moi... Et Héla. »

Mon amie hoche la tête dans le noir, compréhensive. Elle ajoute alors :

« C'est plus confortable de tenir compagnie à une vieille infirme comme moi.

— Ne dis pas ça ! »

Erika s'esclaffe et s'étouffe presque. Elle tousse plusieurs fois et je souris à mon tour, ravie de pouvoir retrouver la complicité que nous avions dans les champs.

Un court silence s'ensuit et je n'ose pas interrompre les pensées de ma camarade. Finalement, elle se décide à partager ses doutes avec moi et je me redresse sur mes coudes.

« Qu'est-ce que je vais devenir, Varunn ?

— Comment ça ?

— Je ne suis pas une citoyenne comme toi. Je ne suis même plus apte à être esclave. Alors dis-moi, que vais-je devenir ?

— J'irai demain à la première heure voir Sven pour lui parler de ta condition. Il te fera citoyenne, j'en suis sûre. »

Erika pouffe de rire et se moque de moi avec joie :

« Non pas que je remette en question tes talents pour convaincre, mais je doute que Sven t'écoute. Surtout venant de la bouche d'une femme qu'il considère comme une espionne ennemie.

— Je lui ferai entendre raison.

— En tout cas, j'admire ta détermination. »

J'acquiesce en silence, convaincue par mon propre plan. Je ne peux évidemment pas demander à Saevald de plaider ma cause une deuxième fois auprès de son père, d'autant plus que je ne peux attendre son retour. Il me faut impérativement faire écho des rumeurs villageoises au chef du clan, tant que les conversations sont encore vives à ce sujet. J'écoute le champ léger des insectes nocturnes au-dehors et observe le reflet de la lune dans la brèche du plafond.

« Lorsque j'étais avec toi dans les champs, les mains dans la boue et le dos douloureux, je me suis fait une promesse à ton égard. »

Je ne vois pas la réaction d'Erika à mes mots à cause de la pénombre, mais j'imagine sans peine sa surprise face à cet aveu.

« Quel type de promesse ?

— De trouver un moyen pour te faire réintégrer les rangs nobles des guerriers. »

Touchée par ces paroles, Erika reste sans voix. Elle échange un regard avec moi et je perçois les larmes scintiller dans ses yeux comme les étoiles dans le ciel.

« Ma place n'est plus sur la ligne de front, ma belle. Je suis devenue trop faible pour cela, et tu le sais mieux que moi.

— Alors je porterai tes rêves. J'intégrerai ces rangs à ta place. »

Cette idée est une pure folie et je le sais. Les paroles ont franchi ma bouche avant même que je ne réfléchisse aux conséquences de celles-ci. Erika se redresse soudainement et sa voix se fait grave :

« Tu n'es pas sérieuse. »

J'aimerais lui avouer que non, que c'était une simple pensée qui a traversé mon esprit sans que je puisse la considérer sérieusement. Au lieu de cela, j'acquiesce :

« Je le suis, pourtant. »

Je me remémore la fascination que j'ai eue devant la réserve personnelle d'armes de Saevald. M'occuper à me former en tant que guerrière aurait le mérite de remplir mes journées aux côtés d'Erika et d'appréhender la beauté de l'art du combat. Quoique cette décision soit extrêmement dangereuse, voire mortelle.

« Tu ne sais même pas te battre.

— Certes, mais je connais quelqu'un qui ferait un excellent mentor. »

Erika sourit malgré elle et je reconnais la tentation qui l'anime et qui place mon amie dans l'indécision.

« Ce n'est pas si facile que cela. Il ne suffit pas de se porter volontaire ni même que je t'apprenne les techniques de combat pour intégrer l'armée de Saevald. Car cela sous-entend défendre mais aussi attaquer et donc tuer. »

J'avale difficilement ma salive devant son expression grave et sérieuse.

« Il faut que tu saches que les femmes ne sont pas les bienvenues dans les rangs militaires. J'ai eu la chance d'en faire partie, mais nous n'étions que deux. Ajouté à cela que tu devras maîtriser une arme à distance, car le combat frontal ne nous est pas permis. Oublie les épées et les boucliers. Tu auras un arc. »

Je m'assois en tailleur pour l'écouter raconter davantage de récits quant à son expérience au combat. Erika me décrit la violence, le sang, la mort, mais aussi la fierté de défendre ses terres. Je sens qu'elle veut à tout prix m'éloigner de l'armée des Jomsvikings, pour épargner ma vie.

« Je me souviens encore du premier homme que j'ai tué. Ce sang-là ne partira jamais de mes mains, même après plusieurs années. Tu n'es pas prête à affronter cela.

— Je ne suis plus une enfant. J'ai échappé à plusieurs tentatives de meurtres depuis mon arrivée dans ce village et je pense que ces aptitudes au combat me sont vitales.

— Je peux t'apprendre à te défendre, mais je ne veux pas te former à ôter la vie. »

Je fronce les sourcils et appuie mon regard vers celle qui se veut être ma protectrice.

« Je veux suivre tes traces. Ici, je suis inutile et Héla veut ma peau. Je n'ai nulle part où aller.

— Ni Sven ni Saevald ni aucun membre haut placé dans le village ne te laisseront combattre dans leur armée. Les soldats n'ont pas confiance en toi, Varunn. Mets-toi à leur place.

— Je vais leur prouver le contraire !

— Tu ne m'écoutes pas ! C'est pourtant clair : je refuse de te former. »

Sa voix se fait forte et je recule légèrement, choquée. Jamais Erika n'a élevé la voix sur moi auparavant. Et ce refus m'attriste d'autant plus qu'elle n'aura pas l'occasion de transmettre son expérience et sa connaissance. Je baisse le visage et apaise ma voix pour faire redescendre la tension dans la pièce.

« Je comprends.

— Tu... tant mieux. »

J'inspire lentement et m'allonge sur le sol pour trouver une position confortable pour dormir.

« Tu as dû vivre des scènes choquantes lors de ton service et je comprends cela. Tu souhaites me protéger, c'est très honorable de ta part.

— N'est-ce pas ce que tu ferais pour moi, si les rôles étaient inversés ?

— Je ne sais pas ce que je ferais, car je n'ai pas vécu ce que tu as vécu et je n'ai aucun souvenir de mon propre passé. »

Erika acquiesce et reste silencieuse, fatiguée. Notre discussion tardive nous a toutes les deux épuisées et je m'endors rapidement, en proie à des rêves mouvementés.