CHAPITRE I : Une très belle journée

2.2K 133 111
                                    

- 15 septembre 2028 - Pennsylvanie - Allegheny National Forest


Une impression de nouveauté flottait dans l'air vivifiant de cette belle et fraiche matinée. L'herbe grasse de la grande cour tirait vers le ciel à demi réveillé, deux larges allées gravillonnées longeaient le bassin central où miroitait l'éclat clinquant d'une eau translucide, pour rejoindre la cour la plus avant. Ces deux allées donnaient respectivement sur deux escaliers hauts de quatre marches, qui permettaient d'accéder à la plus étroite cour de Veritas, celle qui faisait face au bâtiment central et qui était parquée, de part et d'autre, par d'immenses allées à colonnades. Raphaël Anderson s'arrêta près du perron aux marches laiteuses, qui offrait l'accès à une porte colossale en arc brisé. Il était encore trop tôt pour la cohue et seuls quelques élèves épars déambulaient dans la grande cour. 

Ah, Veritas ! Un rêve, un miracle, une apparition !

Raphaël entrait pour la première fois à Veritas et intégrait une promotion déjà constituée, afin de débuter ici sa deuxième année d'étude. Âgé de vingt-et-un ans, c'était en troisième année qu'il était censé entrer, mais la prestigieuse école avait fait le choix de la sécurité. Une bourse lui était dévouée, à la condition qu'il accepte de faire une année de plus. Simple précaution. L'extrême exigence de Veritas n'était en rien comparable avec l'enseignement basal de son école de campagne.

« Eh, oh, tu pionces ?

Il battit des paupières, arraché à sa léthargie. Deux yeux verts et rieurs se plantèrent dans les siens et la bouille de Brook, sa cousine, s'imposa dans son champ de vision. Elle était minuscule, mince et trop jolie pour qu'on lui fiche la paix. Le miracle de la vie avait voulu qu'elle soit acceptée à Veritas en même temps que lui, mais le destin leur avait refusé un accès à la même classe.

— Non, je t'écoute.

— Je disais quoi ? le défia-t-elle gentiment.

Raphaël énonça sur un ton monocorde :

— « J'ai peur de ne pas m'entendre avec ma coloc, elle sent le timbre et ses pulls sont gris. »

Brook fit la moue puis abdiqua :

— OK, tu m'as écoutée ! ... Ah, je suis en stress, répéta-t-elle pour la quinzième fois, serrant les bretelles de son sac à dos. Je n'ai pas envie de me retrouver toute seule. Je suis trop contente ! Mais je suis trop en stress. Trop contente, mais trop en stress... On est acceptés à Veritas !

Sur ce, elle sauta sur place et Raphaël sourit. Lui aussi sentait la tension le gagner. Avec Brook, ils avaient pris la décision de ne pas dire qu'ils venaient de Jackson, un tout petit coin perdu, occupé par moins de deux-cents âmes. Un véritable tombeau, pour ces deux jeunes gens avides de liberté et curieux des autres. Soudain, Brook retira son sac à dos vitesse grand v et enleva sa veste en jean bleu, ornée de fausse fourrure sur les manches et le col.

— Je t'avais dit que t'aurais trop chaud avec ça, lui dit Raphaël, il va faire vingt-trois cet aprèm'.

— T'y connais rien, rétorqua-t-elle, c'est pour le style. T'as vu mon gilet ? Bicolore. Comme tes yeux. Tes yeux de BG. Comment elles vont trop te courir après les bourgeoises friquées, continua-t-elle en fourrant sa veste dans son sac. Après, hop ! Tu mets le grappin sur une bombe, elle t'épouse et tu deviens riche. Et tu laisses ta petite cousine d'amour vivre à ton crochet.

Sur ce, elle haussa deux fois les sourcils, élargissant un sourire de chipie qui fit ressortir ses fossettes. Raphaël lui ébouriffa les cheveux.

— Je ne pense pas qu'une fille issue d'une haute lignée s'intéressera à un gars de la campagne. Déjà que la plupart des biens-nées ne sont pas du tout d'accord avec le fait qu'on puisse toucher une bourse...

RivalitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant