Rivalité

CHAPITRE XXXV : Un juste retour des choses

- 1er février 2029 - Pennsylvanie - Allegheny National Forest

Raphaël était assis à sa table. Ce matin-là, ses amis l'avaient salué comme tous les jours, mais quelque chose dans l'air avait changé. Le poids des regards, le fardeau du jugement appuyait contre son dos, sa nuque, ses épaules. Il se sentait observé de tous côtés. Un mal indicible roulait en lui. La honte, l'accablement. Pour la première fois depuis qu'il avait intégré Veritas, il était vu tel qu'il était. Et c'était dur. Arabella et Gail ne savaient plus comment lui parler, parce que son comportement avait drastiquement changé. Raphaël crut qu'elles le méprisaient. Garry ne s'était pas assis à côté de lui parce qu'il ne voulait pas attirer l'attention. Raphaël crut qu'il le méprisait. Deepali lui adressa un regard consterné, mais ne chercha pas à discuter parce qu'elle avait honte de lui avoir révélé ses sentiments. Raphaël crut qu'elle le méprisait. Il entendait chuchoter : « T'as vu les affiches ? » ; « Raphaël a fait ça ! » ; « C'était écrit « torturé », c'est chaud quand même ! » ; « Je me disais bien qu'il était trop gentil. » ; « Je suis hyper déçue ! Quand je vais raconter ça à ma meilleure pote elle ne va pas en revenir. » ; « Il ne doit pas être sympa, dans le fond. »

Non, il n'était pas sympa. Non, il n'était pas gentil. Il était violent, impulsif et, comme le disait si bien Zachary « obsédé ». Son cœur se scinda à l'instant où il repensa à lui. À ce qu'il avait effleuré, à ce qu'il avait perdu mais surtout, à la peur sous-jacente qui rampait sous son souvenir. Car en effet, qui d'autre que Zachary avait été mis au courant de l'affaire ?

Qui d'autre aurait pu placarder les articles ?

Personne, en dehors de Brook, mais Raphaël n'y croyait pas une seconde. Sa cousine n'avait aucun intérêt à l'humilier publiquement, elle n'était pas en colère contre lui et elle n'avait jamais cessé de l'aimer, même en sachant ce qu'il avait fait. Il avait une foi aveugle en elle. En revanche, pour ce qui était du fils Valdez, il le connaissait suffisamment pour le penser capable d'une telle chose. Finalement, peut-être avait-il décidé de récupérer sa place ? Peut-être avait-il sauté sur l'occasion pour faire de lui un paria et reprendre ce qu'il pensait s'être fait voler ? Zachary le lui avait tellement reproché...

Arlène Montgomery se présenta devant la classe, imposant le silence par sa simple présence. Elle tenait dans sa main l'article qu'elle avait trouvé punaisé dans le battant de la porte et s'immobilisa, extrêmement sérieuse.

— Qui, dit-elle, est responsable de ça ?

Aucune réponse. La professeure balaya la salle d'un œil accusateur.

— J'ai appris de mes collègues que pas moins de trente exemplaires de cet article ont été retrouvés accrochés sur les portes des classes. Ce genre de comportement n'est pas acceptable au sein de l'établissement. C'est mesquin et particulièrement médiocre. Le ou la responsable sera sévèrement puni, j'espère que vous vous en rendez compte ? (Nouveau silence.) Bon. Je ne veux pas un mot concernant cette histoire, nous allons reprendre le cours. Ouvrez vos livres de guérison page deux-cent-huit.

En se rendant au réfectoire, le jeune illusionniste sentit le regard du monde suivre ses pas, peser sur ses omoplates et creuser l'angoisse dans son ventre. « Regarde, c'est le mec de l'article ! » ; « Ouah, il a la tronche de l'emploi. » ; « Ma sœur était à fond sur lui, je lui avais dit qu'il était louche. » ; « Eh ! Mec ! C'est toi sur l'article ? » ; « T'es le harceleur ? ». C'était donc ça, la sensation que l'on devait sentir, quand on était constamment harcelé. Finalement, n'était-ce pas un juste retour des choses ? Il le méritait. Une fois son plateau en main, il chercha des yeux ses amis, les aperçut, croisa le regard inquiet d'Arabella et se détourna pour aller s'asseoir ailleurs. À peine eut il fait quelques pas qu'une main se referma sur son biceps. Il se retourna et tomba sur Deepali.