CHAPITRE XLII : Memini te occidi

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La semaine s'écoula lentement pour les deux jeunes hommes que la distance et les malentendus séparaient. Raphaël ne parvenait plus à mettre des couleurs sur le monde, tout lui semblait grisâtre et monochrome, il n'avait aucune perspective d'avenir, rien ne l'enchantait et ses anciennes passions ne provoquaient chez lui qu'un vain sursaut de gaité, vite avalé par ses ténèbres intérieures. Malgré lui, son Némésis lui manquait. Il lui en voulait d'avoir placardé les articles dans l'école, sans jamais parvenir à le détester, il estimait recevoir le traitement qu'il méritait. De son côté, Zachary cauchemardait énormément et ne comprenait pas ce qui lui valait d'être ainsi tourmenté. Jules avait instauré une distance entre eux, leurs échanges étaient devenus froids et précaires, tandis que Tayson, qui ne comprenait pas ce changement soudain, occupait le monopole de toutes les conversations. Le fils Valdez s'en fichait pas mal, puisque toutes ses pensées appartenaient à son Némésis. Il l'avait trahi. Il l'avait blessé. Mais Zachary ne pouvait s'empêcher de vouloir le revoir. Tant pis pour les avertissements de son frère, il irait trouver Raphaël et lui faire face une bonne fois pour toute. Il voulait savoir « pourquoi » il avait agi comme ça, question stupide selon lui, puisqu'on ne demandait jamais à un serpent pourquoi il nous avait mordu, mais rien ne lui était plus pénible que l'absence de réponse.

Et un mauvais pressentiment lui intimait sans cesse de se rendre chez lui.

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- 10 février 2029 - Pennsylvanie – West View

Raphaël avait feuilleté le livre que sa mère lui avait offert et découvert toutes sortes de breuvages parfaitement illégaux. Il ignorait qui le lui avait vendu, mais c'était toujours avec un plaisir coupable qu'il effleurait le crime. Sous ses doigts, l'encre séchée d'une écriture longiligne et toute attachée, imprégnait le vélin jauni du vieil ouvrage aux odeurs de renfermé. La page de gauche était décorée d'une belle enluminure, encadrant une petite aquarelle représentant l'aspect que devait revêtir la potion. On y avait peint un petit flacon pointu, rempli d'un liquide noir qui virait au rouge cerise dans le fond. À droite et sur les pages suivantes, figurait la liste d'ingrédients nécessaires à la fabrication de la potion, puis les différentes étapes de préparation, accompagnées de petits schémas et formules à rallonge.

« Memini te occidi » ou « souviens-toi que je t'ai tué ». Le nom du breuvage avait immédiatement attiré l'œil de Raphaël. L'auteur, qui n'avait d'ailleurs pas mentionné son nom, vantait les qualités de ce poison inodore et sans goût. « Peut-être versé dans un plat, une sauce, un boisson, à condition que sa couleur ne le trahisse pas. » L'effet indiqué était une mort rapide qui semblait totalement naturelle. « Le poison s'infiltre rapidement dans le sang et attaque tout l'organisme, ce qui le rend perméable aux antidotes. » et on avait annoté en bas de page « Testé sur ma belle-mère, très efficace ».

— On dirait un avis Google, soupira Raphaël pour lui-même.

L'étrangeté de l'ouvrage ne l'incita en rien à faire marche arrière. Au lieu de ça, il se leva, alla récupérer son matériel d'élixirologie dans ses affaires et organisa le tout sur son bureau. Ensuite, il enfila chaussures et veste, sortit et prit son vélo, bien décidé à acheter les ingrédients nécessaires à la fabrication du Memini te occidi.

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- 11 février 2029 - Pennsylvanie – Allegheny National Forest

On y était. Le vendredi tant attendu était finalement arrivé et Zachary n'avait eu de cesse de piaffer d'impatience en attendant la fin des cours. Il avait déjà préparé toutes ses affaires et quand la dernière sonnerie retentit, il se pressa dans son dortoir, récupéra sa valise et se rua dehors, direction sa voiture. Il ne comptait pas honorer son heure de retenue, rejoindre Raphaël était son unique obsession et tout, en comparaison, lui semblait être d'une remarquable futilité.

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