CHAPITRE XXXIX : Mauvais pressentiment

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- 7 février 2029 - Pennsylvanie - Allegheny National Forest

C'était un jour frais et grisâtre. Une pluie diluvienne battait les gravillons des allées et inondait les pelouses vertes gorgées d'eau froide. Zachary courait vers l'un des préaux pour s'abriter, ses semelles s'enfonçaient dans la terre spongieuse, le crachin dégoulinait dans ses cheveux et claquait son manteau. Il atteignit enfin un abri convenable, dépassa plusieurs groupes d'élèves amassés sous les croisées d'ogive, entre les allées à colonnades, puis pénétra l'établissement par une porte secondaire. En entrant dans les lieux chauffés, il secoua son bomber puis tapota le cristal qu'il avait dans la poche avant de son jean.

Calefacies me, dit-il et la pierre dégagea aussitôt une agréable chaleur.

Dehors, le bruit du déluge martelait les carreaux. Il traversa les couloirs, la mort dans l'âme. Zachary frissonnait, il avait froid. Depuis que Raphaël n'était plus là, le monde avait pris des teintes monochromes, pleines de ces fantômes que les souvenirs laissent évader. Il entra dans la salle de classe, les yeux fixés sur les dalles, l'esprit ailleurs.

— Eh bien jeune homme, quelle surprise !

Il manqua de sursauter, arraché à ses songes et leva les yeux sur Jack Aguilar, assis derrière son bureau.

— C'est la première fois que je te vois arriver si tôt en classe, dit-il en lui adressant un sourire plein de bonhommie, tu es le premier.

Zachary leva la tête et réalisa que la salle était vide. Aucune chaise de prise.

— Mumm, répondit-il, apparemment.

— Pauvre garçon, tu es trempé jusqu'aux os. Je vais arranger ça.

Sur ce, le professeur se leva, contourna son bureau et marcha jusqu'à lui. Il mit les mains de part et d'autre de Zachary, fit jaillir des flammes dans chacune d'elles et les garda près de son corps.

— Comme tu le sais, le feu peut faire évaporer l'eau.

— Ouais je sais, grommela-t-il.

Le professeur continua à passer et repasser ses mains autour de son corps pour sécher ses vêtements. Rapidement, Zachary se réchauffa et jeta un regard autour de lui. C'était la première fois qu'il pouvait contempler la classe sans que personne n'y soit. La pluie torrentielle produisait un boucan infernal, la lumière blanche du jour se posait sur les chaises vides, les tables vides, les allées vides, leur conférant un aspect lugubre presque inquiétant. Un frisson étrange courut le long de son échine.

— Tout va bien jeune homme ?

Il se tourna vers son professeur. Jack Aguilar n'avait pas bougé d'un millimètre, toujours ancré dans le sol, juste devant lui. Il le fixait. Son sourire était étrangement joyeux. Très large. Presque trop. L'angoisse naquit dans le ventre de Zachary, l'ambiance devenait de plus en plus étrange. Il jaugea son professeur en haussant un sourcil cependant, Jack persistait à l'observer droit dans les yeux. Ses prunelles luisaient comme deux billes noires, il n'arrêtait jamais ses flammes et le fils Valdez commençait à avoir sérieusement chaud.

— C'est bon, dit-il, mes vêtements sont secs, là.

— Non, répondit Jack sans cesser de sourire, ils ne sont pas secs, Zachary.

Un malaise le prit aux tripes et il se dégagea brusquement en grondant :

— Arrêtez vos conneries, maintenant !

Mais plus il reculait, plus Jack avançait sur lui, les yeux grands ouverts et souriant toujours, sans montrer les dents. Son visage ressemblait à la parodie d'une expression bienveillante, trop forcée, trop étirée, comme un masque horrifique souligné par des ombres mouvantes. Soudain, il cria d'une voix plaignante :

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