CHAPITRE XIX : Le rendez-vous

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- 16 janvier 2029 - Pennsylvanie - West View

La convivialité régnait en maître dans le petit salon encombré des Anderson. Carmen, beauté espagnole aux grands yeux bruns, lisait dans le canapé rouge qui faisait face à la cheminée, triturant l'une de ses longues mèches corbeau. Le crépitement tranquille des flammes emplissait le demi silence en se joignant au bruit des ustensiles qu'on maniait dans la cuisine adjacente. Un grand tapis usé recouvrait le plancher de bois, passant sous les fauteuils et la table basse, où s'éparpillaient des extraits de manuscrits, bougies et stylos plumes tachés d'encre. Les marches de l'escalier craquèrent dans le dos de Carmen. Elle se retourna et gratifia son garçon d'un sourire chaleureux.

— Qu'il est beau mon fils, commenta-t-elle en faisant chanter son accent. Approche mi pequeño, que je te regarde.

Raphaël contourna le canapé puis fit un tour sur lui-même en étendant les bras, tout sourire. Il avait opté pour un pull vert sapin et une veste en jean.

— Ça faisait longtemps que je n'avais pas vu tes cheveux aussi bien coiffés. Et tu as mis ton pull préféré, tu es sûr que tu ne me caches pas quelque chose ? Ça sent le rendez-vous amoureux, tout ça.

Raphaël frémit en entendant prononcer le mot « amoureux », une innocente remarque pour une coupable vérité.

— Je vais juste manger avec un ami, répondit-il.

Et il n'avait même pas l'impression de mentir, car pour lui, rien n'était sûr. Surtout pas avec Zachary Valdez, maître en matière de jeux émotionnels, éternel indécis, apôtre de la mauvaise foi. Si sa mère savait toute la vérité, elle se serait inquiétée de le laisser partir avec lui. Elle ne lui aurait rien interdit, mais par principe, il ne voulait pas lui confier une vérité qui n'en était peut-être pas une. Exprimer la situation avec des mots clairs lui aurait donné une consistance et une réalité, la taire permettait d'en faire le deuil plus aisément, si jamais elle venait à changer. Si ça se passait mal. Si Zachary le blessait une énième fois.

— Il ne devait pas venir à vingt-heures ? Tu es très en avance, tu m'as l'air bien pressé.

Raphaël trépignait littéralement, le corps plein d'excitation et d'appréhension. Il ne savait pas à quoi il s'attendait, il savait juste qu'il voulait le voir, lui parler, le toucher, si possible. Si le félin rétif se laissait apprivoiser.

— D'ailleurs j'aimerais bien le rencontrer, ton nouvel ami.

— Il viendra sonner... enfin, je pense.

S'il ne se contentait pas de lui envoyer un message pour qu'il sorte. Connaissant Zachary, il y avait plus de chance pour qu'il ne se montre pas.

*
- 16 janvier 2029 - Pennsylvanie - Proximité de Pittsburgh

Zachary descendit l'escalier en colimaçon qui menait à l'immense salon du rez-de-chaussée, vide et silencieux. Il jeta un œil aux alentours et, n'apercevant pas la gouvernante, se dirigea vers le hall d'entrée, un demi-hexagone muni de trois arches, en criant :

— Marine ! J'y vais ! Je ne sais pas à quelle heure je rentre et j'aurai déjà mangé !

Sur ce, il marcha jusqu'à la porte et l'ouvrit vivement. Des pas précipités retentirent derrière lui.

— Monsieur Valdez, attendez !

Il se retourna. La vieille gouvernante, les cheveux voletants hors de son chignon mal serré, courait vers lui en tenant son produit lave vitre et son chiffon.

— Je viens d'avoir votre père au téléphone, il m'a chargé de vous dire que lui et madame Valdez ne rentreraient pas le weekend prochain. Ils ont une affaire importante à Singapour et doivent décaler leur retour au mois prochain.

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