CHAPITRE XXVII : Le manipulateur

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- 21 janvier 2029 - Pennsylvanie - Allegheny National Forest

Zachary se sentit humilié. Il avait perdu l'habitude d'être contesté, mais le temps où personne n'osait rien lui dire était bel et bien révolu. Il savait pourquoi. Il savait depuis quand. C'était Raphaël, en arrivant ici, qui avait fait s'effondrer tout ce qu'il s'était évertué à bâtir. Son emprise, sa réputation, son groupe. Un château de cartes. Raphaël lui jeta un regard par-dessus son épaule, mais la pitié qu'il y lut l'emplit de rage. Il se mit à lui en vouloir. Il eut l'impression d'une moquerie, d'un mensonge, comme si tous les mots et tous les gestes de son Némésis n'avaient été que des feintes visant à l'humilier. Il pouvait raconter ce qui s'était passé entre eux, il pouvait l'accabler, révéler son passé à toute l'école. Il pouvait dire aux autres qu'ils avaient couché ensemble, il pouvait détailler, se moquer, littéralement l'écraser sous son pouce.

Zachary lui avait donné ce pouvoir à l'instant où il avait baissé sa garde.

Il ne revit plus leur weekend ensemble que par le regard de la peur. Sous le joug de ses croyances alarmistes, il repensait à ses sourires et leur trouvait un côté railleur, il entendait ce surnom ridicule qu'il lui avait assigné, « petit chat », comme un persiflage destiné à le rabaisser. Toutes ses taquineries ne lui apparaissaient plus que comme des sarcasmes, du dédain déguisé. Et plus il y pensait, plus il était en colère, plus ce qui s'était passé se confondait avec ses certitudes. Personne n'aimait les minables, surtout pas un type comme Raphaël.

Il allait le briser.

Zachary réalisait trop tard qu'il avait des sentiments pour lui.

L'heure du midi arriva et étrangement, la distance qu'ils choisissaient de mettre entre eux pour se cacher du regard des autres lui apparut comme une preuve évidente du mépris de Raphaël. Le voir loin de lui, assis à cette table avec ses amis, à rire, à leur offrir les mêmes sourires que ceux qu'il lui adressait, à discuter dans l'insouciance la plus totale, tenant son intégrité et sa réputation du bout des lèvres, le rendit fébrile et rancuneux. Tayson et Jules parlaient sans s'apercevoir de son trouble. Ils n'étaient plus que trois, tandis que le groupe de Raphaël comptait une dizaine de personnes. Il lui avait tout pris. Le baiser était le clou final de son plan machiavélique pour le détruire. Il allait broyer son cœur, lui arracher l'amour qu'il lui avait donné et ce serait l'achèvement de sa complète destruction.

Oui, c'était le plan de Raphaël depuis le début. Il en était sûr.

Sinon, pourquoi n'avait-il rien dit, plus tôt en cours ? Sinon, pourquoi ne le regardait-il pas ? Pourquoi ne lui parlait-il pas ? Il préférait se cacher. Sûrement qu'il devait lui faire honte. Tout semblait évident, à présent. Raphaël avait posé énormément de questions sur Zachary, il connaissait son passé, ses faiblesses, mais il n'avait rien dit sur lui. Il n'avait donné que des informations évasives, il n'avait récité que des phrases prémâchées et séductrices, lancé des regards enjôleurs et des tours de passe-passe comme il en faisait à tout le monde. Raphaël était un dragueur et un comédien.

C'était évident, à présent.

Zachary se leva subitement. Ses deux amis lui jetèrent un regard écarquillé, mais il quitta la table avant qu'ils n'aient le temps de poser une question et se dirigea droit vers celle de Raphaël, décidé à le confronter. C'était trop pour lui, il ne pouvait pas attendre. Il ne pouvait pas se ronger les sangs toute la journée. Arrivé à hauteur de ses ennemis, le silence tomba comme une pierre et l'attention du groupe s'échoua sur lui. Il vit la stupéfaction dans tous les regards, se sentit acculé, un peu stupide, mais ne se débina pas et se tourna vers Raphaël.

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