CHAPITRE XLIII : In extremis

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D'un côté de l'étroite route de campagne se trouvait des étendues de plantations, tandis que de l'autre paraissait un bois touffu englouti par l'obscurité, ainsi que l'esquisse d'un morceau de lac, situé en contrebas. La pleine lune seule éclairait ce tableau onirique de son éclat pur. Zachary fit jaillir une étincelle en claquant des doigts et naître une petite flamme qu'il tint entre son pouce et son index. Il trouva rapidement un chemin de terre puis s'y engagea, poussé par la seule force de son intuition. Le fils Valdez était persuadé que son Némésis était là. Après quelques minutes passées à s'enfoncer toujours davantage dans le fouillis des bois, à la lumière du halo d'or qu'il tenait d'une main, le jeune homme vit paraître les abords somptueux du lac.

Puis une silhouette allongée.

Il s'approcha.

Couchée sur le dos et inerte. Une silhouette inquiétante qui fit courir un frisson le long de sa colonne.

Il s'approcha davantage.

Son souffle se bloqua. Coup dans le ventre. Heurt dans le cœur. Raphaël.

Immobile.

L'urgence frappa le fils Valdez qui se rua vers son Némésis en criant :

— Raphaël !

Il se jeta près de lui, ses genoux crissèrent contre la terre et il l'attrapa brusquement, mais le jeune homme se laissa secouer comme une poupée désarticulée. Son regard aveugle fixait le ciel.

— Raphaël ! répéta vainement Zachary.

Un flot de douleur roula vers son cœur, la panique frappa son corps et il saisit le visage de son Némésis entre ses mains, répétant en boucle :

— Non, non, non ! Pitié, pas ça !

Les lèvres où s'échouaient des sourires amoureux, les yeux malicieux qui l'avaient tant scruté, tout était figé. Il ne semblait pas l'entendre, ni le voir. Ce n'était plus qu'un corps inerte, une copie inanimée de Raphaël. Le cœur de Zachary battait à tout rompre, il était terrifié, sa vision se brouilla et deux grosses larmes claquèrent les joues de son Némésis. Le regard horrifié du fils Valdez fouilla partout sur le corps, cherchant une blessure, cherchant une respiration, mais la poitrine de l'illusionniste avait cessé de se soulever. Il chercha encore et vit un flacon dans son poing fermé.

Du poison. Il s'était empoisonné.

Il se pencha par-dessus Raphaël, tenant son visage en coupe entre ses mains pour trouver dans ses yeux vides un semblant d'attention, mais se heurta à l'absence de ses prunelles fixes.

— Pourquoi... ? sanglota-t-il et deux nouvelles larmes s'échouèrent sur le front de son amant.

Alors, il le vit. Le Nisivita ultimum qui se balançait paresseusement à son cou. Un sursaut d'espoir le frappa de plein fouet, il arracha son pendentif et retira le bouchon de liège avec les dents. Ensuite, il attrapa d'une main le visage de Raphaël et tira comme un forcené pour l'obliger à ouvrir la bouche. Les lèvres pleines cédèrent difficilement, mais Zachary n'y prêta aucune attention et lui enfonça le flacon entre les dents, sans ménagement ni douceur. L'antidote se renversa sur la langue de l'illusionniste en débordant sur ses joues et le fils Valdez appuya sur sa mâchoire pour lui fermer la bouche.

— Allez, allez ! Bois ! Bois mon cœur, je t'en supplie !

Zachary fixait sur Raphaël son regard noir, luisant de détresse et d'appréhension. Il attendit.

Il attendit.

Il attendit.

Mais rien. Raphaël demeurait inerte. Le fils Valdez hoqueta. C'était un glapissement tragique, tremblant de vulnérabilité. Un déluge de larmes noya ses yeux et dévala ses joues pâles, il posa son front contre la poitrine de Raphaël et empoigna brusquement son pull. Le chagrin noua son ventre et écrasa son souffle. Des pleurs cuisants forçaient sur sa poitrine, ses tripes, sa tête, si fort que le mal semblait vouloir lui sortir par les pores. Il répétait « Non, non... ». Le monde s'écroulait. Une nuit perpétuelle s'annonçait. La vie s'était réduite à cet instant funeste, à ce corps inanimé étendu dans la terre.

RivalitéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant