C'est crevée que je me suis mise au lit.
Le soleil est déjà haut dans le ciel. Ce n'est pas tant le manque de sommeil qui me fatigue, mais bien toutes ces mésaventures et ces réflexions incessantes, doublés du stress d'une potentielle invasion. On a tout de même bien avancé cette nuit, mais une nouvelle pensée parasite est venue se greffer à la tornade de pistes, d'indices et de remords qui frappe ma tête seconde après seconde.
Je n'ai pas envie de quitter Charly.
Quand j'étais petite, ma mère disait toujours que la vie est une scène où se joue la même pièce en boucle, avec comme seules différences les acteurs et quelques menus détails. Je commence à comprendre ce qu'elle voulait dire. J'ai quitté Chicago pour me sevrer d'une addiction toxique, tout ça pour trouver une nouvelle drogue aussitôt arrivée.
Quelque part, la vie n'est faite que de drogues. La plus importante étant le bonheur. Qu'est-ce qui pousse les gens à se lever le matin ? Qu'est-ce qui fait tourner le monde ? Quelle est notre foutue raison de vivre, si ce n'est chercher le bonheur, cette réaction chimique qui nous met une grande tape dans le dos pour nous récompenser. Ce bonheur vient de bien des façons, le tout est de trouver un moyen d'y parvenir qui n'est pas cher et surtout, qui n'est pas empoisonné.
Celle que j'ai trouvée ici est probablement la meilleure qu'il m'ait été donné d'avoir. C'est la réflexion que je me fais lorsqu'elle débarque en pyjama dans ma chambre après sa douche. Son téléphone en guise de micro balance une chanson des années 80 tandis qu'elle essaye tant bien que mal de chanter en rythme. Elle enchaine les gestes tous plus grandiloquents les uns que les autres comme si une foule en délire était en train de hurler son nom. Mais il n'y a que moi, déjà sous la couette, en train de sourire devant ce pitoyable spectacle.
Je me demande si je serai comme elle un jour. Une boule d'énergie qui se vêt d'un manteau de ridicule, manteau qui lui va comme un gant pour une raison mystique. Probablement pas. J'aimerais certes être plus extravertie, mais pas à ce point.
La musique se termine et je l'applaudis. Une véritable ovation à ses oreilles. Ses bras s'élancent et saluent son public, enchainant les courbettes comme un pianiste ayant terminé un concerto. Je ne peux retenir un rire devant son regard si profondément sérieux qui est plongé au fond de la salle noire de monde. J'ai presque envie de me retourner pour vérifier qu'à la place du mur ne se trouvent pas des rangées de sièges pleines à craquer.
Puis un long soupir vide ses poumons, à croire que toute la scène s'est déroulée en apnée. On se regarde, nos sourires finement dessinés. Ce n'est plus tant la prestation qui me rend heureuse, simplement sa présence. De la voir, là, face à moi, dans ma chambre. Elle n'ose pas s'approcher de mon fief, bien qu'elle en meure d'envie. Difficile de savoir si je vais le regretter ou non, mais je lui donne l'autorisation de pénétrer sur mon territoire en tendant les bras vers elle. L'invitation est acceptée en moins de temps qu'il n'en faut pour le lire et je me retrouve avec tout son poids sur moi, couverture lestée à la peau particulièrement douce.
Elle se faufile sous ma couette. Heureusement qu'elle n'est pas bien lourde. Elle m'enlace et repose sa tête sur ma poitrine avant de la relever comme un animal à l'affut, cherchant un endroit moins privé pour se caler.
Je passe ma main dans ses cheveux. Ses yeux se ferment immédiatement et tous ses muscles se détendent. Elle a beau avoir sa forme humaine, elle n'en reste pas moins un très gros chat. Mes gratouilles lui font l'effet d'un somnifère et la guéparde finit par se caler sur mes deux coussins.
Ses cheveux sont encore humides. Ils sont si doux. Ma main les traverse comme si de rien n'était. Aucun nœud ni résistance, mes doigts glissent entre ses mèches avec l'agilité d'un champion de slalom. L'odeur de son shampoing se fraye un chemin jusqu'à mes narines pour m'enivrer d'une touche de noix de coco. Sa chaleur traverse nos vêtements pour m'enrouler d'un drapé dont seul Morphée a le secret. Mes papouilles l'endorment à une vitesse inattendue, elle qui faisait le pitre quelques secondes plus tôt.
VOUS LISEZ
Là où le diable se terre
ParanormalEmily va accepter un poste de bibliothécaire de l'autre côté des États-Unis, dans une petite ville portuaire de l'Oregon pour prendre un nouveau départ. Alors qu'elle y emménage avec l'intention de vivre une petite vie paisible, loin des tumultes de...